La Grettisfærsla est un poème islandais médiéval (XIVe ou XVe siècle), peut-être en rapport avec le personnage de Grettir Ásmundarson, le héros de la Grettis saga. Il se distingue par sa paillardise, très rare dans la littérature norroise.

Grettisfærsla grattée dans le manuscrit AM 556 a 4toLe recto du feuillet 52 du manuscrit AM 556 a 4to contient les dernières lignes de la Grettis saga. La suite, c'est-à-dire la Grettisfærsla, a été grattée.
Stofnun Árna Magnússonar, Reykjavík.
La Grettisfærsla est mentionnée au chapitre 52 de la Grettis saga, et elle figure à la suite de la saga dans le manuscrit AM 556 a 4to, daté du dernier quart du XVe siècle. Dans la saga, Grettir est capturé par les fermiers du Vatnsfjarðardalr, lassés de ses rapines. Mais chacun invoque des prétextes pour ne pas se charger de la garde du prisonnier jusqu'à ce qu'il soit statué sur son sort. L'auteur de la saga indique ensuite qu'« à partir de cette conversation, des hommes joyeux ont composé l'histoire appelée Grettisfærsla et l'ont augmentée de propos comiques pour l'amusement des gens1». Ce récit peut éclairer le titre du poème, le composé -færsla ayant le sens de passer quelque chose ou quelqu'un. Or, Grettir passe, virtuellement, de la garde de l'un à l'autre des fermiers.

Les dernières phrases de la saga dans le manuscrit AM 556 a 4to annoncent la Grettisfærsla et rappellent dans quelles conditions le poème a été composé. Mais la suite, de même que le feuillet suivant, ont été grattés, sans doute en raison de l'obscénité du texte. Seuls les premiers mots sont donc visibles à l’œil nu. Un examen aux ultra-violets a cependant permis de déchiffrer, en tout ou partie, 250 lignes sur les 400 environ que comptait initialement le poème.

Très hétérogène, tant dans le fond que dans la forme, le poème, après une centaine de lignes illisibles, évoque d'abord les compétences de Grettir pour les tâches fermières et domestiques. Il est ensuite question de ses performances sexuelles : il « baise » (« streða », « serða », « moga »), sans considération d'âge, de sexe, ou de rang : il baise jusqu'aux rois, et même le pape à Rome. Les animaux ne sont pas épargnés par sa lubricité. Bref, « il baise presque tout ce qui bouge2». S'en suit une série de menaces, insultes, malédictions, adressées, sans doute, à Grettir. Ce contenu ouvertement sexuel fait l'originalité du poème dans une littérature où les références à la sexualité sont extrêmement rares.

Le sens général du texte survivant ayant été déchiffré, demeure la question du lien entre le poème et la saga. Le poème qui a été conservé semble a priori sans rapport avec ce qu'en dit le chapitre 52 de la saga – chapitre du reste manquant dans le seul manuscrit contenant le poème. Plus généralement, le Grettir du poème apparaît bien différent du héros de la saga. C'est pourquoi Ólafur Halldórsson a soutenu que le poème dont il était question dans la saga n'était pas celui conservé et que ce dernier, plus récent que la saga, traitait d'un autre Grettir que Grettir Ásmundarson3. Rapprochant le poème d'une ancienne chanson enfantine, il tire la conclusion que ce Grettir est en réalité un symbole phallique, comparable à Völsi, le phallus de cheval du Völsa þáttr, qui passe de mains en mains dans une famille suédoise, dont chaque membre doit prononcer une strophe. Le poème s'inscrirait donc dans un rite de fertilité célébré à l'occasion d'un repas cérémoniel lors des moissons. Il aurait été rattaché par erreur à la saga, en raison de la similitude des noms. Cette théorie, largement admise, a cependant été contestée par Kate Heslop, qui relève quelques concordances entre le poème et la saga4.


1 « Ok eptir þessu viðtali þeira hafa kátir menn sett fræði þat, er Grettisfærsla hét, ok aukit þar í kátligum orðum til gamans mönnum. »
2 « Streður hann þat er kvikt er flest. » (v. 95).
3 Ólafur Halldórsson. Grettisfærsla. Opuscula I (1960). P.49-77.
4 Heslop, Kate. Grettisfærsla : the handing on of Grettir. Saga-Book XXX (2006). P. 65-94, et plus particulièrement p. 74-75 pour les concordances. L'article contient une traduction du poème.