La Hrafns saga Sveinbjarnarsonar est une saga de contemporains. Au récit traditionnel d'un conflit, elle mêle de nombreux traits hagiographiques.

Hrafns saga Sveinbjarnarsonar dans le manuscrit AM 155 fol.Version A de la Hrafns saga Sveinbjarnarsonar dans le manuscrit AM 155 fol.
Stofnun Árna Magnússonar, Reykjavík.
Rédigée entre 1230 et 1250, la Hrafns saga Sveinbjarnarsonar est une saga de contemporains dont le héros est Hrafn Sveinbjarnarson, un goði des Vestfirðir, dans le nord-ouest de l'Islande, qui mourut assassiné en 1213.

La saga est conservée de façon indépendante dans deux versions, la version A un peu plus longue que la version B, bien qu'elles soient sensiblement identiques quant au fond. Elle a aussi été intégrée, de façon abrégée, à la Sturlunga saga, composée vers 1300.

La version longue se présente comme une biographie, voire une hagiographie de Hrafn.

Elle débute conventionnellement par la généalogie de Hrafn, avant de le présenter comme un homme paré de toutes les vertus, physiques comme intellectuelles – c'est notamment un très grand médecin. Il se caractérise également par sa piété – il s'est rendu en pèlerinage à Canterbury, Saint-Gilles, Saint-Jacques-de-Compostelle et Rome, et est un ami de l'évêque Guðmundr, qu'il accompagne en Norvège pour sa consécration ; son humilité, qui lui fait refuser les richesses et les honneurs de de ce monde au profit des gloires célestes ; sa générosité, son hospitalité, sa charité : la saga rapporte notamment de façon détaillée comment il se mettait au service des malades, en particulier des pauvres.

La seconde moitié de la saga est consacrée au conflit grandissant entre Hrafn et son parent Þorvaldr, présenté sous un jour très favorable à Hrafn.

Tel qu'il est rapporté, ce conflit semble provoqué par le seul Þorvaldr, dépeint comme un homme orgueilleux, qui place son intérêt avant toute autre considération, un voleur et un menteur, un individu prompt à la colère. De son côté, Hrafn est représenté comme un homme juste et pacifique, soucieux du respect de la loi et de la parole donnée, pratiquant le pardon des offenses. Ainsi, il refuse ainsi de tuer Þorvaldr alors qu'il en a plusieurs fois l'occasion et que certains le lui conseillent. Après la deuxième attaque, quand une conciliation a été trouvée, il invite Þorvaldr à sa table, offre de nouvelles chaussures à ses hommes, et prend congé en l'embrassant de celui qui a voulu le tuer. Peut-être faut-il y voir une réminiscence christique, Hrafn étant l'innocente victime d'un Þorvaldr présenté comme un autre Judas.

La mort de Hrafn, qui survient durant la période du Carême, est comparable à celle d'un martyr. Elle est précédée de présages, sous forme de rêves et de visions (pluies de sang, cavaliers passant dans le ciel...). La nuit précédente, Hrafn s'est fait lire l'Andréasdrápa, qui évoque le martyre de saint André. Lorsque sa ferme est assiégée, il préfère prier plutôt que défendre sa vie. Puis, il propose à Þorvaldr de partir en pèlerinage à Rome afin d'assurer leur salut à tous les deux, et de ne jamais revenir, avant de lui offrir de se rendre en échange de la vie des siens. Finalement saisi, il se confesse et reçoit le sacrement de l'Eucharistie, prie et verse des larmes de repentir. Il est finalement décapité en position de prière – la même que celle de Thomas Becket à l'instant de recevoir le coup fatal1, à l'endroit où une lumière était apparue quelques mois plus tôt. Sur le sol nu où il a été mis à mort, l'herbe pousse l'été suivant.

Hrafns saga Sveinbjarnarsonar dans le manuscrit AM 552 n 4toVersion B de la Hrafns saga Sveinbjarnarsonar dans le manuscrit AM 552 n 4to.
Stofnun Árna Magnússonar, Reykjavík.
La saga s'achève peu après la mort de Hrafn. Contrairement au schéma traditionnel, la revanche, la réconciliation et la conclusion sont traitées très rapidement, et de manière partielle. En particulier, la vengeance exercée par les fils de Hrafn sur Þorvaldr – il périt brûlé en 1228 – est passée sous silence.

Si le motif du conflit entre chefs est bien présent dans la Hrafns saga Sveinbjarnarsonar, s'y superpose celui du combat du bien contre le mal. Les traits hagiographiques y abondent, et elle se rapproche, en cela, d'une vita (vie de saint) et des Heilaga mannra sögur (sagas de saints). Elle constitue un exemplum révélant, ainsi que l'indique le prologue « la grande patience que Dieu tout-puissant a chaque jour envers nous, et la liberté, qu'il donne à chaque homme, de faire, selon sa volonté, le bien ou le mal ».

À travers l'exemple de Hrafn, l'auteur porte aussi un jugement sur les valeurs de l'Âge des Sturlungar. Il rejette le système des conflits fondé sur de vaines conceptions de l'honneur et de l'héroïsme, au profit d'une quête spirituelle, celle du salut.

La seconde moitié de la Hrafns saga figure aussi dans la Sturlunga saga.

Elle s'insère dans l'Íslendinga saga. Alors qu'il est question du voyage pour la Norvège qu'entreprit l'évêque Guðmundr l'été qui suivit le meurtre de Hrafn, le compilateur de la Sturlunga saga fait un retour en arrière pour rapporter les circonstances de ce meurtre. Cette version de la saga s'ouvre au moment du retour en Islande de Hrafn et de Guðmundr, et enchaîne immédiatement sur le début des hostilités entre Þorvaldr et Hrafn.

La saga conservée dans la Strulunga saga est une version plus ramassée : elle représente les deux tiers de la partie correspondante de la saga indépendante. Le compilateur a non seulement voulu faire œuvre de concision, mais les passages qu'il omet révèlent aussi sa volonté de changer la tonalité de la saga.

Mettant l'accent sur le conflit entre entre Þorvaldr et Hrafn – elle est du reste qualifiée de Saga de Hrafn Sveinbjarnarson et de Þorvaldr Snorrason dans le prologue de la Sturlunga saga, elle est plus proche des autres récits de conflit dans la compilation, qui sont motivés par une lutte de pouvoir.

Toute la première partie, évoquant le caractère de Hrafn, ses bienfaits, ses pèlerinages, n'est pas reprise. Les événements surnaturels présageant la mort de Hrafn sont abrégés ou abandonnés. Les passages de style didactique ou religieux mettant en avant les vertus de Hrafn ont disparu, de même qu'une drápa de Guðmundr Svertingsson soulignant sa piété. En parallèle, les méfaits de Þorvaldr sont en partie gommés. Il en résulte que le caractère très manichéen de la saga indépendante est atténué au profit d'une objectivité plus habituelle.

La version A de la saga indépendante est conservée dans les manuscrits AM 155 fol. (entre 1639 et 1662), AM 154 fol. (1688-1702) et AM 487 4to (1688-1697) ; la version B dans les manuscrits AM 552n 4to (avant 1655, date de la mort de son scribe, Björn Jónsson de Skarðsá) et British Library, MS Add. 11.134 (1811-1827)2.


1 La vie de Thomas Becket était connue en Islande par une Tómas saga erkibyskups.
2 Guðrún P. Helgadóttir. Hrafns saga Sveinbjarnarsonar and Sturlunga saga. Gripla, 8 (1993). P. 55.
 

Traductions

  • La saga de Hrafn Sveinbjarnarson et La saga indépendante de Hrafn Sveinbjarnarson. In : La saga des Sturlungar. Traduite de l'islandais ancien, présentée et annotée par Régis Boyer. Paris : Les Belles lettres, 2005. P. 235-248 et 713-749.
 

Sources

  • Ásdís Egilsdóttir. Hrafn Sveinbjarnarson, Pilgrim and Martyr. In : Sagas, Saints and Settlements. Edited by Gareth Williams and Paul Bibire. Leiden ; Boston : Brill, 2004. (The Northern world ; 11). P. 29-39.
  • Úlfar Bragason. The Structure and Meaning of Hrafns saga Sveinbjarnarsonar. Scandinavian Studies, 60-2 (Spring 1988). P. 267-292.