Le Seyðabræv (« Lettre des moutons ») est une législation promulguée en 1298 par le duc Hákon Magnússon, encadrant, en particulier, l'élevage des moutons aux îles Féroé.

En 1273, le roi de Norvège Magnús lagabœtir décida que l'ancienne loi du Gulaþing s'appliquerait aux Féroé, sous domination norvégienne depuis la fin du Xe siècle. En ce qui concerne l'élevage, les Féroïens conservaient cependant leur propre législation.

L’année suivante, le roi Magnús adopta la nouvelle loi du Gulaþing et il ne fallut pas attendre longtemps avant sa mise en vigueur dans les îles Féroé.

Le 28 juin 1298, un amendement (réttarbót1) à cette nouvelle loi fut promulgué par le duc Hákon, fils de Magnús et futur roi Hákon V. Il est connu sous le nom de Lettre des Moutons2, car traitant principalement de l’élevage des moutons, ainsi de l'utilisation de pâturages en commun. Il y est aussi question des rapports entre les propriétaires terriens et leurs locataires, ou du partage des baleines échouées.

Seyðabrævið dans le KongsbókLe Seyðabræv dans la Kongsbók.
Tórshavn, Landsskjalasavnið.

Saint Erlend sur la façade ouest de la cathédrole de NidarosSaint Erlendr sur la façade ouest de la cathédrale de Nidaros.
Statue d'Odd Hilt, 1939.
Cet amendement a été préparé, ainsi que l'indique l'introduction de la Lettre, par l'évêque des Féroé, Erlendur (1269-1308), et Sigurðr, løgmaðr des Shetland, qui, envoyés sur place par le duc, ont recueilli les observations des habitants de l'île. Sans doute codifie-t-il en grande partie le droit ancien.

La Lettre des Moutons constitue le plus vieux document féroïen conservé. Compte tenu de la pénurie de sources médiévales en provenance des îles Féroé – qui se limitent à dix inscriptions runiques, le Hundabræv (« Lettre des chiens ») et deux séries de lettres (dont les Húsavíkarbrøvini), elle constitue, aussi courte soit-elle, un document de première importance.

Elle porte témoignage de l'activité économique – dominée par l'élevage des moutons – et de son évolution. Ainsi, l'absence du concept d'ærgi, les pâturages utilisés durant l'été, qui ont pourtant été connues aux Féroé, comme l'atteste la toponymie (ainsi, Ergidalur, sur Suðuroy), révèle l'abandon de cette pratique, au profit de l'élevage intensif et de la pêche3.

Elle constitue également un reflet de la société féroïenne, dominée par les propriétaires terriens. Une disposition nouvelle, restée en vigueur jusqu'en 1637, interdit ainsi l'établissement d'une nouvelle ferme à toute personne ne possédant pas au moins trois vaches. Les travailleurs sans terre étaient en conséquence contraints de demeurer au service des propriétaires terriens – ou à mendier, la Lettre autorisant les pauvres à librement demander l'aumône.

Seyðabrævið dans le manuscrit Lund 15Le Seyðabræv dans le manuscrit Lund 15.
Lund, Lunds universitetsbibliotek.
Elle présente, enfin, un intérêt linguistique. Composée en vieux norvégien, elle contient cependant quelques mots et expressions spécifiquement féroïens, et relatifs, en particulier, à l'élevage de moutons (hagfastr : un mouton qui demeure dans un certain pâturage, ou tvílembdr, qui désigne une brebis ayant deux agneaux) ou aux baleines (hvalflyster, un morceau de baleine qui flotte dans une baie).

La Lettre des Moutons est préservée dans deux manuscrits médiévaux en vélin : Isl. perg. 33 4to (Kongsbókin), longtemps à la Bibliothèque royale de Stockholm, mais revenu à Tórshavn, aux Archives nationales, en 1990, et Medeltidshandskrift nr. 15 à la bibliothèque universitaire de Lund. Des copies se retrouvent également dans des manuscrits postérieurs à la Réforme, parmi lesquels AM 316 fol.

Les dispositions de la Lettre relative à l'élevage ont été réaffirmées par le roi de Danemark Christian IV le 24 février 1637. Elles sont restées en vigueur jusqu'à l'adoption d'une nouvelle loi en 1866, qui les reprenait pour partie.


1 La signification du terme réttarbót a évolué avec le temps. Initialement, il renvoyait à des situations où le roi concédait certaines de ses prérogatives au peuple, améliorant ainsi ses droits subjectifs. À partir de la seconde moitié du XIIIe siècle, en revanche, réttr a pris le sens de « droit objectif », et une réttarbót désigne toute évolution de la législation.
2 Ce nom apparaît pour la première fois dans les copies de cette réttarbót composées autour de 1600 : les manuscrits AM 316 fol. et AM 61b II 4to.
3 Mahler, Ditlev L. Sæteren ved Argisbrekka : økonomiske forandringer på Færøerne i vikingetid og tidlig middelalder. Tórshavn : Faroe University Press, 2007. P. 405.
 

Sources

  • Seyðabrævið. Greitt úr hondum hava Jóhan Hendrik W. Poulsen og Ulf Zachariasen ; yvirlit yvir Føroya søgu, Arnbjørn Mortensen ; enskar týðingar, Michael Barnes og David R. Margolin. Tórshavn : Føroya fróðskaparfelag, 1971.
  • Agerholt, Johan. Sauebrevet 1298. En undersøkelse i norrøn diplomatikk. Arkiv för Nordisk Filologi, 74 (1959). P. 236-263.
  • Young, G.V.C. From the Vikings to the Reformation : a chronicle of the Faroe Islands up to 1538. Douglas, Isle of Man : Shearwater Press, 1979.
 

Écrit par Mahdî Brecq et Frédéric Vincent