Le Styrbjarnar þáttr Svíakappa est un þáttr dont l'événement central est la bataille de Fýrisvellir, qui opposa Styrbjörn le Fort, à la tête des vikings de Jómsborg, à son oncle, le roi de Suède Eiríkr le Victorieux.

« Her hefr vpp þaat styrbiarnar suia kappa... »

Les frères Eiríkr et Ólafr régnaient sur la Suède. Ólafr mourut, laissant un fils nommé Björn. Il était de caractère violent – raison pour laquelle Eiríkr le surnomma Styrbjörn, de styrr : « agitation », « guerre » – et impopulaire. Aussi son oncle lui offrit-il soixante navires pour qu'il parte en expéditions. Il guerroya à l'Est, et devint le chef des vikings de Jómsborg. Ayant obtenu par la force l'alliance du roi de Danemark Haraldr Gormsson, il fit voile vers la Suède pour y conquérir le royaume.

Conseillé par Þorgnýr Þorgnýssson1, Eiríkr se prépara à l'affrontement. Styrbjörn et son armée arrivèrent à Fýrisvellir, et le combat s'engagea. La nuit du deuxième jour, Styrbjörn sacrifia à Þórr. Un homme à barbe rousse lui apparut et prédit sa chute. Eiríkr sacrifia à Óðinn, s'engageant à lui appartenir au bout de dix ans. Un homme portant un large chapeau lui apparut et lui donna une tige de roseau, lui indiquant de la lancer par-dessus l'armée de Styrbjörn en disant : « Qu'Óðinn vous possède tous ». Le lendemain, Eiríkr suivit ces instructions. La tige se transforma en lance, et Styrbjörn et ses hommes furent frappés de cécité, puis un glissement de terrain se produisit. Les Danois s'enfuirent, et Styrbjörn périt avec son armée.

Le sacrifice aux dieux

Eiríkr le Victorieux sacrifie à Óðinn, Jenny NyströmLe sacrifice vu par Jenny Nyström.
(Från Nordens forntid, 1895).
Le motif du roi sacrifiant aux divinités pour allonger sa vie ou obtenir la victoire est bien connu.

La scène du Styrbjarnar þáttr fait plus particulièrement écho à celle de la Jómsvíkinga saga dans laquelle le jarl Hákon sacrifie son fils à Þorgerðr Hölgabrúðr, sa divinité tutélaire, pour obtenir la victoire sur les vikings de Jómsborg, lors de la bataille du Hjörungavágr. En règle générale, c'est cependant à Óðinn que les sacrifices sont adressés (par les rois Aun ou Haraldr hilditönn, par exemple).

Quant au jet de la tige de roseau, qui devient une lance, par dessus l'armée ennemi, elle rappelle la façon dont Óðinn jette Gungnir dans le récit de la guerre des Ases et des Vanes. La coutume de jeter une lance afin de consacrer son ennemi à Óðinn est mentionnée à plusieurs reprises.

La bataille de Fýrisvellir

Le Styrbjarnar þáttr Svíakappa contient le récit le plus détaillé de la bataille de Fýrisvellir, qui est connue de nombreuses autres sources : l'Óláfs saga Tryggvasonar d'Oddr Snorrasson, la Gesta Danorum de Saxo Grammaticus, la Heimskringla (Óláfs saga helga), la Fagrskinna, la Hervarar saga, la Knýtlinga saga et l'Eyrbyggja saga.

La bataille aurait eu lieu à la fin du Xe siècle, dans les environs d'Uppsala. Son existence a parfois été contestée, mais elle semble cependant confirmée par des sources contemporaines : plusieurs strophes scaldiques, en particulier deux lausavísur composées par Þorvaldr Hjaltason et conservées dans le þáttr, ainsi que plusieurs inscriptions runiques, en particulier celles des pierres de Hällestad (DR 295) et de Sjörup (DR 279), érigées à la mémoire d'hommes « qui n'ont pas fui à Uppsala ».

Le Styrbjarnar þáttr dans la Flateyjarbók

Styrbjarnar þáttr Svíakappa dans le FlateyarbókLe Styrbjarnar þáttr dans la Flateyjarbók.
Stofnun Árna Magnússonar, Reykjavík.
Le þáttr a peu retenu l'attention des chercheurs. Certains se sont toutefois interrogés sur les raison qui ont conduit le scribe Jón Þórðarson à l'intégrer à la Flateyjarbók, seul manuscrit où il soit conservé. Il y fait partie de l'Óláfs saga helga (chapitres 60-61) avec laquelle il entretient un lien très lâche, puisqu'il se déroule bien avant le règne d'Óláfr.

Ainsi que l'a relevé Stefanie Würth2, les þættir de la Flateyjarbók ont parfois pour fonction de présenter un personnage qui est ensuite introduit dans la saga. Le Styrbjarnar þáttr s'apparente à ce cas, puisqu'il permet d'éclairer une référence à Styrbjörn (a posteriori, puisqu'elle se situe plusieurs chapitres plus tôt) : lorsque le roi de Suède Óláfr sænski repousse les offres de paix venues d'Óláfr Haraldsson et réaffirme ses ambitions sur la Norvège, il témoigne de son mépris pour les souverains norvégiens en rappellant, notamment, que le roi danois Haraldr Gormsson s'empara de la Norvège des fils de Gunnhild. Or, lui-même avait été soumis par Styrbjörn, qui fut à son tour défait par le roi de Suède Eiríkr.

Elizabeth Ashman Rowe s'est quant à elle intéressée à l'intertextualité des þættir intégrés à l'Óláfs saga helga de la Flateyjarbók3. Elle souligne notamment les liens du Styrbjarnar þáttr avec le Hróa þattr, qui lui fait suite et avec lequel il forme une paire dont les thémes et les motifs contrastent (d'un côté, le paganisme associé au sacrifice de vies humaines et à l'oppression économique, de l'autre, le christianisme, source de justice et de prospérité), mais aussi avec le Tóka þáttr (les rois païens faibles ou mauvais de l'un – Haraldr et Eiríkr – s'opposant aux rois païens forts et généreux – Hrólfr kraki et Hálfr – de l'autre).


1 Ce Þorgnýr est le père du Þorgnýr, également lögsögumaðr du Tíundaland, personnage important dans la suite de l'Óláfs saga helga. Il joue un rôle secondaire dans ce þáttr, mais beaucoup plus actif dans le Hróa þáttr heimska, qui lui fait suite. C'est sans doute pour renforcer le lien entre les deux þættir qu'il a été introduit dans le Styrbjarnar þattr, selon la théorie d'Elizabeth Ashman Rowe (The development of Flateyjarbók : Iceland and the Norwegian dynastic crisis of 1389, Odense : University Press of Southern Denmark, 2005, p. 110-111).
2 Würth, Stefanie. Elemente des Erzählens : die þættir der Flateyjarbók. Basel : Helbing & Lichtenhahn, 1991. P. 47.
3 Rowe, op.cit., p. 112-113 et 136-139.