Le monastère de Lindisfarne, situé sur l'île du même nom, en Northumbrie, fut pillé par des vikings le 8 juin 793. Cette date marque traditionnellement le début de la période viking.

Évangiles de LindisfarneLes Évangiles de Lindisfarne, l'un des trésors du monastère (page tapis en forme de croix et incipit de l'Évangile selon saint Jean).
British Library, Londres.
Le monastère de Linsfarne fut fondé en 634 par saint Aidan, moine irlandais du monastère de Iona, venu en Northumbrie à la demande du roi Oswald pour y mener une activité missionnaire. Depuis 687, le monastère abritait les reliques de saint Cuthbert, ancien évêque de Lindisfarne et le plus vénéré des saints northumbriens, dont la vie a été écrite par Bède le Vénérable.

Possesseur de vastes domaines fonciers, destinataire de nombreux dons, le monastère de Lindisfarne abrite une grande concentration de richesses à la fin du VIIIe siècle. Ces richesses mal défendues le désignent comme cible d'un groupe de vikings, sans doute norvégiens, qui attaquent le monastère le 8 juin 793.

L'événement est rapporté par la Chronique anglo-saxonne (manuscrits D, E et F). L'année 793 est marquée par de « terribles présages » : immenses éclairs, dragons volant dans les airs, grande famine, et, « peu après, cette même année, le 8 juin, l'incursion des païens détruisit misérablement l'église de Dieu à Lindisfarne par le pillage et le meurtre ».

L'événement eut un retentissement considérable, dont attestent les lettres qu'Alcuin, clerc anglo-saxon originaire de Northumbrie, qui séjournait alors à la cour de Charlemagne, écrivit à ses compatriotes. Dans l'une d'elle, adressée au roi Æthelred, il l'évoque en ces termes :

« Voilà près de 350 ans que nous et nos pères habitons cette très belle patrie, et jamais auparavant n'était apparue en Bretagne une telle terreur, que celle que nous endurons à cause d'une race païenne, ni n'avait été imaginé qu'un tel voyage en mer fut possible. Voici l'église de saint Cuthbert éclaboussée du sang des prêtres de Dieu, dépouillée de tous ses ornements, le lieu le plus vénérable de toute la Bretagne livré à la déprédation d'une race païenne. »

Cette lettre, très souvent citée, reflète les sentiments éprouvés par les contemporains face aux pillages vikings. S'y mêlent l'horreur et le désarroi face à l'attaque sauvage et inattendue portée contre un lieu que l'on pouvait penser protégé par son caractère sacré. Alcuin y voit une manifestation de la colère divine, et exhorte ses contemporains à s'amender.

Les lettres d'Alcuin ont donné le ton à la littérature monacale relatives aux vikings, dont les descriptions deviennent, avec le temps, de plus en plus horrifiantes. Plus de trois siècles après les événements, Siméon de Durham rapporte ainsi le pillage de Lindisfarne dans son Historia Regum :

« Cette année-là, les païens venus du Nord arrivèrent en Bretagne avec une flotte, comme des frelons munis de leur dard, et se propagèrent en tous sens comme des loups très funestes, pillant, saccageant et massacrant non seulement bêtes de somme, moutons et bœufs, mais aussi prêtres et diacres, ainsi que les communautés de moines et de nonnes. Parvenus à l’église de Lindisfarne, misérables pillards, ils dévastèrent tout, piétinèrent les lieux sacrés avec leurs pieds impies, brisèrent les autels et s’emparèrent de tous les trésors de la sainte église. Ils tuèrent quelques frères, en réduisirent d’autres en esclavage, en chassèrent de très nombreux, dénudés, malmenés et couverts de honte, en noyèrent certains dans la mer.1»

Cette tonalité dramatique a influencé et influence encore la perception des vikings, et le pillage de Lindisfarne demeure l'une des entreprises vikings les plus populaires. Il a ainsi été mis en scène dans la chanson 793 (Slaget om Lindisfarne) du groupe de metal norvégien Enslaved (album Eld, 1997), la série de comics Northlanders (épisodes 9 et 10, 2008), la série télévisée Vikings (saison 1, épisode 2, 2013) ou le film Drakkar (2013).

S'il n'est pas certain que le pillage de Lindisfarne ait été le premier acte de violence viking dans le nord de l'Angleterre2, il est le premier à être documenté, et a ouvert la voie à une série de raids contre des édifices religieux : l'année suivante, un autre monastère du nord de l'Angleterre, peut-être Jarrow, fut attaqué, sans succès, puis en 795, ce fut le tour de ceux de Iona (Hébrides) et Rathlin (Irlande). Les monastères concentrent en effet de grandes richesses, et ils sont peu défendus, surtout quand ils sont isolés par leur position insulaire. Ils constituent donc une cible de prédilection pour les vikings. Une motivation anti-chrétienne est en revanche difficile à démontrer, même si Bjørn Myrhe, notamment, a tenté de voir dans ces attaques une réaction contre l’impérialisme politique et religieux carolingien3.

Les déprédations vikings à Lindisfarne apparaissent cependant exagérées. Ni les reliques ni le trésor (en particulier un très précieux manuscrit, les Évangiles de Lindisfarne) ne furent dérobés. Les moines demeurèrent sur l'île et ce n'est qu'en 875, après la conquête de la Northumbrie, que moines et reliques quittèrent Lindisfarne4. Après sept ans d'errance, ils s'installèrent à Chester-le-Street, puis à Durham en 995. Des moines bénédictins réoccupèrent l'île en 1081. Du monastère d'origine, il ne subsiste rien aujourd'hui.

 


1 Traduit par Lucie Malbos. In : Les raids Vikings à travers le discours des moines occidentaux. De la dénonciation à l’instrumentalisation de la violence (fin VIIIe-IXe siècle). In : Hypothèses 2012. Paris : Publications de la Sorbonne : École nationale des chartes, 2013.

2 Quant au sud de l'Angleterre, la Chronique anglo-saxonne rapporte déjà, pendant le règne du roi de Wessex Beorhtric (786-802), le meurtre d'un officier royal à Portland, sur la côte du Dorset.

3 Voir, par exemple : The Beginning of the Viking Age–Some Current Archaeological Problems. In : Viking revaluations. Ed. by Anthony Faulkes and Richard Perkins. London : Viking Society for Northern Research, 1993. P. 182-204.

4 D'ailleurs pas nécessairement à cause de la présence viking. Voir : Hadley, Dawn M. The Vikings in England : settlement, society and culture. Manchester (UK) ; New York (N.Y.) : Manchester University Press, 2006. P. 39.