La Þrymskviða (« Chant de Þrymr ») est un poème de l’Edda poétique racontant le vol du marteau de Þórr par le géant Þrymr et sa récupération, au prix d'un travestissement du dieu en femme. Il est parfois appelée Hamarsheimt (« Récupération du marteau »).

Larsson Tor saasom Freya Loke brudtaernaCarl Larsson, Tor en Freya, Loke demoiselle d'honneur.
Illustration de l'Edda traduite par F. Sander (1893).
Transmis par le Codex Regius, il compte trente-deux strophes en fornyrðislag.

Un matin, en se réveillant, Þórr ne retrouve pas son marteau. Il a été volé par le géant Þrymr, qui ne le rendra que s'il reçoit Freyja pour épouse. Celle-ci s'y oppose vigoureusement, et Heimdallr propose alors que Þórr se rende au monde des géants déguisé en Freyja. Le dieu s'y refuse tout d'abord, avant de s'y résoudre. Il part accompagné de Loki, déguisé en servante. Au terme d'un repas, Þrymr demande que soit apporté Mjöllnir pour consacrer la fiancée. Le marteau est déposé sur les genoux de Þórr, qui tue le géant et toute sa famille.

La Þrymskviða est l'un des poèmes eddiques les plus populaires. Elle le doit à l'art de la narration de son auteur, à sa composition rigoureuse, à la simplicité de la langue, à la caractérisation des personnages, à son rythme soutenu. Elle le doit aussi à son humour, parodique et satirique1, avec des personnages se comportant à l'encontre de leur nature – Þórr, le plus viril des dieux, obligé de se travestir en femmes, ou des scènes burlesques, telle que celle du repas, qui met en scène la gloutonnerie de Þórr, la concupiscence de Þrymr et l'esprit de Loki.

La popularité de la Þrymrskvida dès la fin du Moyen Âge est attestée par les rímur qui en reprennent le motif en Islande – les Þrymlur, et par les ballades populaires (folkeviser) qui s'en inspirent dans tout le monde scandinave, notamment en Norvège (Torekallvisa) et au Danemark (Tord af Havsgård).

Les premiers chercheurs comptaient la Þrymskviða parmi les plus anciens poèmes eddiques. Si un examen linguistique fait apparaître certaines formes grammaticales archaïques, de nombreux arguments vont cependant dans le sens d'une composition récente. Le mythe du vol du marteau de Þórr n'est ainsi évoqué dans aucune autre source. Il est en particulier absent chez Snorri Sturluson, ce qui a conduit Peter Hallberg a suggérer qu'il pourrait être l'auteur du poème2. De plus, la Þrymrskvida contient de multiples emprunts à d'autres poèmes eddiques ou scaldiques. Une certaine licence quant au respect des règles de la métrique et des traits stylistiques rapprochant le poème des ballades médiévales ont également été relevés. Enfin, la dimension satirique peut aussi laisser supposer une composition tardive, postérieure à la conversion au christianisme. Un relatif consensus se dégage donc pour dater le poème de la fin du XIIe ou du XIIIe, ce qui n'exclut d'ailleurs pas nécessairement qu'il rapporte un ancien mythe véritable.

La question des origines de la Þrymrskvida a suscité de nombreuses hypothèses. Vieux fonds indo-européen ou emprunt récent à l'Irlande, à la Russie ou même au Moyen-Orient ont été avancés.

De même, ses interprétations sont multiples. Les plus anciennes étaient d'ordre naturaliste, jouant sur l'association de Þórr à la pluie ou au tonnerre, ou sur celle de Þrymr à l'hiver. Le rôle du marteau à la fin du poème a incité d'autres chercheurs à le mettre en rapport avec un rite nuptial. Le caractère phallique de Mjöllnir, le travestissement de Þórr, ont conduit à interpréter le poème sous l'angle de la perte, puis du recouvrement de la virilité. La Þrymrskvida a également été vue comme un reflet des préoccupations sociales et intellectuelles des Islandais à l'époque de sa composition (la question de l'honneur, en particulier).

Traductions

  • von See, Klaus ... [et al.]. Kommentar zu den Liedern der Edda. Bd. 2, Götterlieder. Heidelberg : Winter, 1997.
  • L'Edda poétique. Textes présentés et trad. par Régis Boyer. Paris : Fayard, 2002.

 


1 Heinrichs, Heinrich Matthias. Satirisch-parodistische Züge in der Þrymskviða. Festschrift für Hans Eggers zum 65. Geburtstag. Hrsg. von Herbert Backes. Tübingen : Niemeyer, 1972.
2 Peter Hallberg. Om Þrymskviða. Arkiv för Nordisk Filologi 69 (1954), 51–77.