Jórunn skáldmær (« jeune fille scalde ») est une scalde généralement tenue pour norvégienne qui composa sans doute dans la première moitié du Xe siècle.
De Jórunn, n'est connu avec certitude qu'« à peine plus que son nom1», et, de sa poésie, seulement « de maigres restes1».
Elle est toutefois l'une des rares femmes scaldes dont l'existence soit mentionnée. Parmi les skáldkonur de la période pré-chrétienne figurent aussi Hildr Hrólfsdóttir ou la reine Gunnhildr konungamóðir, mais ces dernières étaient liées à la cour par des liens familiaux.
Son surnom peut suggérer qu'elle était jeune ou, du moins, qu'elle n'était pas mariée2, sans, toutefois, que l'emploi du substantif mær ne constitue une preuve irréfutable quant à son âge ou à son statut marital3. À noter que dans la version de l'Ólafs saga helga contenue dans la Flateyjarbók, son surnom est « skjaldmær » : « jeune fille au bouclier », ce qui peut s'expliquer, sinon par une simple erreur de copie, par le fait qu'elle combattait elle-même4, ou bien qu'elle se tenait aux côtés du roi au cours des batailles5. Comme l'ont écrit Guðbrandur Vigfússon et Frederick York Powell, « a Saga of the poetess would have been a welcome thing, but we are doomed to rest ignorant about this unknown lady6».
Son unique poème préservé est le plus long poème scaldique composé par une femme et elle est l'unique femme scalde citée dans les Skáldskaparmál (ch. 64) par Snorri Sturluson, qui rapporte d'autres strophes dans la Haralds saga hárfagra (ch. 36) et dans la version indépendante de l’Ólafs saga helga (ch. 3) . Elle n'est cependant pas mentionnée dans le Skáldatal, bien qu'elle ait pu été attachée à la cour de Haraldr hárfagri ou de Halfdan svarti.
Si elle figurait à la cour de Haraldr, elle aurait pu fréquenter le scalde Þorbjörn hornklofi : les deux poètes présentent des similarités de style (même usage des heiti et des kenningar), et leurs œuvres comportent même une ligne commune7. Elle semble aussi avoir connu Guthormr sindri, scalde de Haraldr hárfagri et de Halfdan svarti, puisque son poème lui rend hommage.
Il n'est cependant pas exclu que cette œuvre ait été composée après les événements qu'elle évoque8. En particulier, certains éléments du vocabulaire employé renvoient plutôt au XIIe siècle ou à une date encore plus tardive.
9») ont été conservées. Rédigé en dróttkvætt, ce fragment est consacré à un conflit entre le roi de Norvège Haraldr hárfagri et son fils Halfdan svarti, et à sa résolution grâce à Guthormr sindri.
Seules deux strophes et trois demi-strophes de cette drápa intitulée Sendibítr (« Message mordantLa prose, dans la Haralds saga hárfagra et l'Ólafs saga helga, permet de reconstituer le sens général de ces vers. Un violent conflit opposait les fils de Haraldr. Lorsqu'Eiríkr blóðøx s'en prit à Halfdan, Haraldr, furieux, leva une armée et se prépara à combattre. Des émissaires furent cependant envoyés, parmi lesquels le scalde Guthormr sindri, ami du roi et de son fils, qui composa pour chacun un poème. Il refusa la récompense qui lui était proposée, demandant à la place que les deux rois se réconcilient, ce qu'ils firent.
L'ordre des strophes, leur interprétation, l'origine même du titre du poème demeurent incertains. Ainsi, le titre pourrait provenir du poème lui-même, qui critiquerait le conflit entre le père et le fils10, et, plus spécifiquement, le comportement de Halfdan11, ou engagerait Haraldr à se montrer plus généreux envers Guthormr9. Mais il pourrait aussi faire allusion au message adressé par Guthormr aux deux rois, s'expliquer par une partie du poème qui n'a pas été conservée, ou bien encore être lié au contexte dans lequel le poème fut composé12.
Si « le jugement de la recherche sur sa maîtrise formelle est dans l'ensemble négatif13», Jórunn n'en a pas moins composé une œuvre originale, et c'est en cela que réside son talent. À l'encontre des poèmes de cour traditionnels, qui font l'éloge d'un roi et vantent ses succès guerriers, celui-ci, qui peut être décrit comme une parodie de ceux-là, loue un poète et le pouvoir de la poésie, capables d'éviter une violence qu'elle dénonce et d'imposer la paix14. Ainsi est-il possible d'écrire du Sendibítr qu'« it is poem about the power of poetry, which cunningmy makes use of the traditonal language and preoccupations of skaldic verse to subvert its more usual subject matter15».
Éditions
- Den norsk-islandske skjaldedigtning. Udgiven af kommissionen for det Arnamagnaeanske legat ved Finnur Jónsson. A. Tekst efter håndskrifterne. København : Rosenkilde og Bagger, 1967. Vol. I, p. 60-61 et B. Rettet Tekst. København : Rosenkilde og Bagger, 1973. Vol. I, p. 53-54.
- Jórunn skáldmær. Sendibítr. Ed. by Judith Jesch. In : Poetry from the kings' sagas 1 : [from mythical times to ca. 1035]. Part 1. Ed. by Diana Whaley. Turnhout : Brepols, 2012. P. 143-149. (Skaldic poetry of the Scandinavian Middle Ages ; vol. I).
Recherche
- Jesch, Judith. Introduction to : Sendibítr. Op. cit., p. 143-149.
- Kreutzer, Gerd. Jórunn skáldmær. skandinavistik, 2 (1972), 89-98.
- Straubhaar, Sandra Ballif. Skáldkonur. In : Medieval Scandinavia : an encyclopedia. Ed. by Phillip Pulsiano. New York ; London : Garland, 1993.
- Straubhaar, Sandra Ballif. Ambiguously Gendered: The Skalds Jórunn, Auðr and Steinunn. In : Cold Counsel: Women in Old Norse Literature and Myth. Ed. by Sarah M. Anderson ; with Karen Swenson. New York ; London : Routledge, 2002. P. 261-271.
- Straubhaar, Sandra Ballif. Old Norse Women's Poetry : the Voices of Female Skalds. Cambridge : D. S. Brewer, 2011. P. 13-15.
- Straubhaar, Sandra Ballif. Jórunn skáldmær. In : Women in the Middle Ages : an encyclopedia. Ed. by Katharina M. Wilson and Nadia Margolis. Vol 1. A-J. Westport, Conn. ; London : Greenwood Press, 2004.