Un þáttr (pluriel þættir) est un court récit en prose, parfois indépendant, le plus souvent intégré à une saga, généralement royale.

Début de l'Orms þáttr Stórólfssonar dans le FlateyarbókLe début de l'Orms þáttr Stórólfssonar dans la Flateyarbók.
Stofnun Árna Magnússonar, Reykjavík.

Étymologiquement, þáttr désigne le brin d'une corde. Métaphoriquement, le nom est utilisé pour désigner la partie d'un tout, et, plus spécifiquement, d'une œuvre littéraire1.

Les þættir existant dans des rédactions médiévales indépendantes sont, en effet, extrêmement rares (le Stúfs þáttr constitue l'une quelques exceptions) : jusqu'au XVe siècle, ils apparaissent toujours intégrés à des sagas royales, principalement la Morkinskinna et la Flateyarbók. Il ne s'y distinguent d'ailleurs pas toujours avec évidence. Si certains þættir sont présentés comme tels, de façon plus ou moins explicite (certains épisodes sont introduits par les mentions « Þáttr » ou encore « Af » ou « Frá … » : « Au sujet de … »), leur identification laisse une grande place à l'arbitraire. C'est pourquoi l'estimation de leur nombre varie d'une cinquantaine à plus de cent.

Fjörutíu Íslendinga þættir, édités par Þórleifr JónssonCe n'est donc que progressivement qu'ils ont été considérés comme des œuvres indépendantes. Témoignent de cette évolution les premières éditions de þættir (Sex sögu-þættir, édités par Jón Þorkelsson en 1855, et surtout Fjörutíu Íslendinga þættir, édités par Þórleifr Jónsson en 1904). Joseph Harris pouvait écrire en 1976 que « virtually all literary historians have offered the opinion that þættir in general were originally independent works »2.

Harris a réparti les þættir en sept groupes en fonction de leur thème et de leur structure narrative3, selon qu'ils mettent en scène : la relation entre un Islandais et un roi (« king-and-Icelander þættir » ou « Íslendinga þættir »), la conversion (« conversion þættir »), un conflit (« feud þættir »), un scalde (« skald þættir »), un rêve (« dream þættir »), un voyage dans l'autre monde (« þættir of a 'journey to the other world' »), ou les exploits d'un héros aux prises avec des créatures légendaires (« mytho-heroic þættir »), sans compter ceux qui rentreraient plutôt dans une catégorie « divers ».

La première catégorie a fait l'objet d'une attention particulière de la part de Harris, qui s'est attaché à dégager leur structure narrative commune4. Il a distingué six segments : Introduction (présentation et brève description du héros) ; Journey In (souvent le voyage d'un Islandais en Norvège – útanferð) ; Alienation (le héros suscite la colère du roi, par exemple en violant l'une de ses interdictions, ou en tuant l'un de ses hommes) ; Reconciliation (grâce à l'intervention d'un ami ou en réussissant une épreuve) ; Journey Out (retour) et Conclusion (jugement sur le héros, mention de sa descendance...). Toutes ces sections ne sont pas toujours présentes, et de nombreux þættir emploient une variante de cette structure de base.

Le concept de þættir comme genre indépendant a toutefois été remis en cause, au point qu'Ármann Jakobsson a diagnostiqué, sans doute de façon excessive, le « mort » du þáttr5. Reprenant en partie des arguments déjà avancés dès les années 1970 par Lars Lönnroth6, il relève l'incohérence de considérer comme þættir des épisodes faisant partie de sagas royales, et non ceux, pourtant comparables, appartenant à des sagas d'Islandais, ou l'absence de justification scientifique au fait que les héros des þættir soient nécessairement islandais, et jamais (ou pratiquement) norvégiens, un élément qu'il met sur le compte du nationalisme des éditeurs et chercheurs islandais.

Les études contemporaines relatives au þættir les replacent donc désormais davantage dans leur contexte, et mettent l'accent sur les fonctions qu'ils remplissent au sein des textes auxquels ils sont intégrés, tant sur le plan dramatique qu'idéologique. Ils peuvent ainsi servir à apporter un éclairage sur le caractère de tel ou tel souverain, à insister sur les vertus qui doivent être celles d'un roi, à renseigner sur la place des Islandais à la cour de Norvège...

Traductions

  • Boyer, Régis. Les Sagas miniatures (þættir). Paris : Les Belles Lettres, 1999. (Vérité des mythes).

 


1 Sur l'étymologie et les usages du nom, voir : Lindow, John. Old Icelandic þáttr : early usage and semantic history. Scripta Islandica 29 (1978), 3-44.

2 Harris, Joseph. Theme and genre in some Íslendinga þættir. Scandinavian Studies 48 (1976), 2.

3 En dernier lieu : Ashman Rowe, Elizabeth ; Harris, Joseph. Short prose narrative (þáttr). In : A companion to Old Norse-Icelandic literature and culture. Ed. By Rory McTurk. Malden, Mass. : Blackwell, 2005. P. 463-464.

4 Harris, Joseph C. Genre and narrative structure in some Íslendinga þættir. Scandinavian Studies 44 (1972), 1-27.

5 Ármann Jakobsson. The life and death of the medieval Icelandic short story. Journal of English and Germanic Philology 112 (2013), 257–91.

6 Lönnroth, Lars. Tesen om de två kulturerna: kritiska studier i den islandska sagaskrivningens sociala förutsättningar, Scripta Islandica 15 (1964), 1-97 et The concept of genre in saga literature, Scandinavian Studies 47 (1975), 419-426.