Poème de l'Américain William Dunlap, Ella, A Norwegian Tale (1793) est une œuvre pionnière par son choix d'une thématique empruntée aux légendes scandinaves.

The Columbian MuseLa date de composition est inconnue, mais Ella est paru en 1793 dans American poems, une anthologie compilée par Elihu Hubbard Smith. L'année suivante, le poème était republié dans The Columbian muse, sous-titrée A selection of American poetry, from various authors of established reputation, par James Carey.

La réputation de William Dunlap (1766-1839) était en effet établie, du moins comme peintre et surtout dramaturge et historien de l'art. Il a revanche composé peu de poésie, et Ella apparaît, du reste, médiocre sur le plan littéraire1.

Il est question, dans ses trente-trois strophes, de l'invasion de la Norvège par une armée suédoise (« Swedish demons ») menée par un roi nommé Sivard (« bloody Sivard »), dont la lubricité n'a pas même épargné la princesse Ella. Galvanisés par le prince Eric, les Norvégiens se dressent contre lui. Sivard est tué par Eric, qui, mortellement blessé, se révèle être Ella.

« Sivard is dead! and Ella would not live.
She bleeds, she faints, she dies. »
 

William DunlapWilliam Dunlap représenté sur une gravure de Max Rosenthal, d'après un portrait peint par Ingham en 1838.Le choix de cette thématique scandinave intrigue. Il semble unique dans l'œuvre de Dunlap, et est extrêmement rare dans la littérature américaine de ce temps2, même si, en Europe, l'intérêt pour l'histoire ancienne et les légendes du Nord a été éveillé par le mouvement romantique3.

Il a conduit Adolph B. Benson à s'interroger sur les sources de Dunlap. Benson a dans un premier temps (1927) jugé que l'histoire rapportée par Dunlap était « pure invention », sans fondement historique et tout au plus vaguement influencée par les traditions relatives à Ragnarr Loðbrók, dont l'auteur aurait pu prendre connaissance lors d'un séjour en Angleterre (1784-1787). Quelques noms leur sont en effet empruntés (Sivard, Ella, Eric), aux côtés d'autres qui ne sont nullement scandinaves (Calmar, qui figure chez Ossian, Culullin, Marco, Streno).

Près de vingt ans plus tard (1946), il a cependant découvert, par hasard, la source immédiate d'Ella. Il s'agirait de l'Histoire des révolutions de Suède, composée en 1695 par l'ecclésiastique et historien normand René Aubert de Vertot, et traduite en Angleterre dès l'année suivante. L'ouvrage est centré sur l'histoire de Gustave Vasa, mais est accompagné d'un « abrégé chronologique de l'histoire de Suède », qui dresse la liste des anciens souverains suédois, accompagnée de leur biographie.

Or, Vertot connaît un Sivard dont l'histoire concorde avec celle relatée par Dunlap. Elle est ainsi rapportée : en 827, « Sivard […] porta ses armes en Norvège ; il pilla ce royaume, qu'il surprit et qu'il trouva d'abord sans défense ; les plus belles femmes devinrent la proie de sa passion, et après en avoir joui il les abandonnait indifféremment aux principaux chefs de ses troupes. Les Norvégiens, irrités de ces violences, prennent les armes, leurs femmes même se mêlent dans le combat. Sivard périt par la main d'une de ces héroïnes qu'il avait déshonorée, et qui par la mort de ce prince vengea son honneur et celui de sa nation.4»

Vertot, Histoire des révolutions de Suède

L'abbé Vertot tenait lui-même ses informations des « auteurs des anciennes chroniques » suédoises. L'histoire de Sivard dérive manifestement de l'Historia de omnibus Gothorum Sueonumque regibus (1554) de Johannes Magnus, archevêque d'Uppsala, qui, mentionne un Sivardus, également nommé Frø ,qui aurait régné sur la Suède à partir de 827, et rapporte les mêmes événements concernant son règne et sa fin (Livre XVII, chapitres 3 et 4). Le récit de Johannes Magnus provient lui-même de la Gesta Danorum de Saxo Grammaticus (Livre IX), achevée au début du XIIIe siècle, dont a cependant été omis le personnage de Lathgertha.

Si Dunlap connaissait Saxo, il ne lui aura donc pas emprunté le nom de son héroïne. Il la nomme Ella, qui n'est pas un prénom scandinave. Ella n'apparaît, dans la littérature norroise, que comme la traduction d'Ælle, roi de Northumbrie et meurtrier de Ragnarr Loðbrók. Peut-être faut-il voir dans ce choix une réminiscence de la Bibliothèque historique de Diodore de Sicile (IV, 16), où Aella (Ἄελλα) est l'une des Amazones qu'affronte Héraclès pour s'emparer de la ceinture d'Hippolyte.


1 Benson, qui l'a qualifié de « rather lenghthy and mediocre poem », « of slight literary value » (1946, p. 136), a jugé que : « Ella is spirited, and containes some good verse ; but it is difficult for a reader somehow to take its story and import seriously. It produces non tragic impression, no fear or trembling ; it reminds one – almost – of a puerile academic exercise, which is devoid of genius, is labored and unconvincing » (1927, p. 245).
2 Peuvent également être mentionnés, parmi les œuvres pionnières, le Scandinavian War Song (1782) de Philip Freneau, traduction (fautive), d'une strophe des Krákumál, ainsi que Twilight of the Gods et Conquest of Scandinavia de Richard Aslop, également reproduits dans l'anthologie American poems.
3 Ce qu'illustrent, par exemple, les poèmes de l'Anglais Thomas Gray, dont The Fatal Sisters et The Descent of Odin (1768) sont parus aux États-Unis en 1788 dans The New-Haven gazette, and the Connecticut magazine.
4 Vertot, René Aubert de. Histoire des révolutions de Suède, où l'on voit les changemens qui sont arrivez dans ce royaume au sujet de la religion et du gouvernement. Paris : M. Brunet, 1695. P. 152.
 

Sources

  • Benson, Adolph B. Scandinavian influences in the works of William Dunlap and Richard Alsop. Scandinavian Studies and Notes, 9-8 (November, 1927). P. 239-257.
  • Benson, Adolph B. The Sources of William Dunlap's Ella, A Norwegian Tale. Scandinavian Studies, 19-4 (November, 1946). P. 136-143.
  • Dunlap, William. Ella. A Norwegian Tale. In : American poems, selected and original. Litchfield [Conn.] : Collier and Buel, 1793. P. 226-231.