La Route des cygnes (1967) est un roman de René Hardy narrant la découverte et la colonisation du Groenland, puis du continent américain, par Erik le Rouge et sa famille.
Né en 1911 dans l'Orne, René Hardy est, avant la Seconde Guerre mondiale, cadre à la SNCF. Pendant l'Occupation, il rejoint le mouvement Combat, au sein duquel il exerce de hautes responsabilités, en charge du sabotage des voies ferrées.
Arrêté et interrogé par Klaus Barbie en juin 1943, il est relâché, et participe, quelques jours plus tard, à la réunion de Caluire, au cours de laquelle Jean Moulin et plusieurs dirigeants de la Résistance furent arrêtés.
La responsabilité exacte d'Hardy dans l'affaire de Caluire n'a pu être établie par les historiens. Emprisonné en 1944, il a été jugé et acquitté par par la cour de justice de la Seine en 1947, puis par le tribunal militaire en 1950.
N'en plane pas moins toujours sur lui la suspicion d'avoir été celui qui a rendu possible l'arrestation de Jean Moulin et, dans l'après-guerre, il se lance dans l'écriture, avec un certain succès, sur les conseils de son anciens camarade dans la Résistance Pierre de Bénouville, qui l'aide à faire publier ses romans1.
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René Hardy est notamment l'auteur d'Amère victoire (1955), qui remporta le prix des Deux Magots l'année suivante. La Route des cygnes, paru en 1967 chez Robert Laffont, , sous-titrée « le roman de la découverte de l'Amérique par les Vikings », « est un roman dont la particularité essentielle est que ses personnages ont réellement existé« [Prenant] pour fil conducteur la Saga d'Erik le Rouge et le Récit des Groenlandais3», La Route des cygnes narre en effet « l'histoire de la famille d'Erik le Rouge, riche de drames, de passions et d'amour, digne des grandes familles antiques sur lesquelles pesa la même fatalité », « inséparable de la découverte et de la colonisation du Groenland, de la découverte et de la première tentative de colonisation du continent américain en l'an mil », ce qui fait de cette histoire, aux yeux de l'auteur, « le premier “western” ».
Hardy brosse le portrait d'« hommes et de femmes [qui] manient les lances, les épées et les haches aussi bien qu'un langage poétique qui, parvenu jusqu'à nous, fera dire de l'Islande, leur patrie, qu'elle fut la Grèce du Nord ». « Ils n'ignorent pas leur droit et, dans chacun d'eux, dort un plaideur habile ».
Cette vision nuancée des hommes et des femmes du Nord, guerriers et explorateurs, mais aussi poètes et juristes, se veut réaliste : « les mœurs, les coutumes et la vie quotidienne, je les ai reconstituées à travers les études historiques des savants et des spécialistes qui figurent dans la bibliographie ».
Régis Boyer, tout en jugeant le roman « bien écrit, vivant et passionné », en a dénoncé, non sans raisons, les erreurs lexicales ou historiques, au point de qualifier finalement l'ouvrage de « macaronique, farci d'erreurs et de contre-sens, où l'on ne sait s'il faut parler de naïveté désarmante ou de prétention »4.
L'auteur n'est en pas moins fidèles à ses sources, même s'il les enrichit de quelques personnages et intrigues romantiques. Surtout, il dépeint fidèlement la soif de liberté et d'aventure qui anime ses protagonistes, dont les caractères sont dépeints avec couleurs.
scalde, Olaf-Langue-d'Or, au cours de douze veillées, « pour respecter la tradition millénaire des veillées islandaises où l'on raconte encore aujourd'hui les grandes sagas », une occupation indispensable durant la longue nuit de l'Islande « aux vastes landes désertes que hantent encore les trolls et les hommes-ours » (p. 20).
Les aventures d'Erik et de sa famille sont narrées en 1477 par un vieuxLe choix d'un scalde comme narrateur permet en outre d'enrichir le style d'un langage poétique. Les kenningar abondent, à commencer par celle qui donne son titre au roman, la « route des cygnes », désignant la mer. Si la poésie scaldique connaît plusieurs kenningar pour nommer la mer construites à partir du nom « cygne » (« svanr »)5, celle-ci n'est attestée qu'en vieil anglais (« swanrād », Beowulf, 200). De même, les citations de poèmes anciens, scaldiques comme eddiques, sont nombreuses6, l'auteur empruntant les traductions de Renauld-Krantz7.
Racontées plusieurs siècles après les événements, le récit de l'exploration et de la colonisation du Groenland, puis du Vinland, est aussi l'occasion d'évoquer le temps héroïque du paganisme, « un temps où l'on ne s'ennuyait point et où l'on savait mourir joyeusement » (p. 53), dont le narrateur exprime la nostalgie, au point, à la fin du roman, d'être interdit d'exercer par l'Église, et de se retrouver menacé d'excommunication et de bannissement.
Qu'il le formule directement ou par l'intermédiaire de ses personnages, le narrateur regrette le temps ancien, auquel le christianisme et ses missionnaires, régulièrement tournés en dérision – ils n'ont « pas plus de bon sens que le mouton dont ils parl[ent] » (p. 29), ont mis un un terme, précisément à l'époque des événements qu'il narre.
C'est ainsi qu'Erik le Rouge affirme s'être « toujours très bien porté de [s]on commerce avec Thor qui fut un homme qui n'aurait pas toléré qu'on lui plantât des clous dans les mains et dans les pieds, et qu'on le clouât comme une peau d'ours sur des planches ». Il n'en est pas moins tolérant, dès lors que l'on ne porte pas atteinte à sa liberté : « j'ai déjà tant de dieux que je m'y perds un peu mais je suis habitué à eux ; alors gardez le vôtre, je garde les miens et on ne se disputera pas pour cela. Mangeons un bon pied de cochon grillé et buvons de la bière à la santé de tous nos dieux, ça ne peut pas les offenser et, après tout, ils doivent bien se connaître entre eux. Les dieux, c'est comme les rois, ça va sûrement les uns chez les autres », déclare-t-il à un missionnaire outré (p. 119).
Avec la christianisation disparaissent les festins accompagnés de beuveries, d'éclats et de disputes, mais aussi les « joies de l'amour », pourtant si naturelles : « la toletière est faite pour recevoir la rame » (p. 291), et a-t-on « jamais vu un bon bélier se satisfaire d'une seule brebis ? » (p. 261). C'est jusqu'au sens de l'honneur qui est menacé s'il n'est plus permis de se venger de ses offenseurs.
Plusieurs siècles plus tard, Olaf-Langue-d'Or déplore que ses compatriotes, attachés à leur confort et « résignés comme les moutons que nous élevons » (p. 231), aient perdu le goût de l'aventure, contrairement à leurs ancêtres qui, eux, « étaient des hommes [et] ne restaient pas à moisir comme de vieux pains de pois là où on les avait posés » (p. 33). « Ils ne veulent pas comprendre que, si personne ne bouge plus dans ce pays, les skaldes (sic) n'auront plus rien de neuf à raconter. La vie est triste quand les peuples s'endorment » (p. 84).
Enfin, le choix de l'année 1477 ne doit rien au hasard : c'est en effet à cette date que Christophe Colomb aurait séjourné en Islande, selon le témoignage, peu convaincant, de son fils Ferdinand. L'authenticité de ce voyage est sujette à débat8. Hardy se range toutefois du côté des chercheurs, scandinaves notamment, qui estimaient qu'il a bien eu lieu : le navigateur génois aurait alors recueilli (grâce à Olaf-Langue-d'Or9) des indications sur les expéditions au Vinland, qu'il aurait par la suite mises à profit pour naviguer jusqu'en Amérique.