L'Edda poétique est une collection de poèmes mythologiques et héroïques, conservés pour la plupart dans un manuscrit islandais du XIIIe siècle, le Codex Regius.
Le terme d'Edda poétique renvoie avant tout aux poèmes contenus dans le Codex Regius de l'Edda poétique (GKS 2365 4to), composé vers 1270. Ce manuscrit, d'apparence médiocre, est une collection de vingt-neuf poèmes mythologiques et héroïques.
D'autres poèmes, présents dans divers manuscrits (manuscrits de l'Edda de Snorri, Flateyjarbók, AM 748 I 4to) figurent également dans les éditions modernes de l'Edda : Baldrs draumar, Hyndluljóð (avec la Völuspá in skamma), Rígsþula, Gróttasöngr et Svipdagsmál (Grógaldr et Fjölsvinnsmál).
Enfin, l'Eddica minora désigne un corpus de poèmes apparentés aux poèmes héroïques de l'Edda, mais inclus principalement dans des sagas légendaires.
Le nom d'Edda dérive de l'Edda de Snorri, ainsi nommée dans le Codex Upsaliensis. La conviction était en effet répandue que la collection de textes figurant dans le Codex Regius, dont plusieurs sont cités par Snorri, lui avait servi de source – raison pour laquelle elle est également qualifiée d'ancienne Edda.
Cette croyance était partagée par l'évêque Brynjólfur Sveinsson, qui, possesseur du Codex Regius en 1643, voulut voir en Sæmundr fróði (« le savant ») Sigfússon (1056-1133) son auteur ou son compilateur, d'où le nom de Sæmundar Edda.
Þormóður Torfason. C'est de son appartenance aux collections de la Bibliothèque royale de Copenhague qu'il tire son nom (« Manuscrit royal ») et sa cote (GKS signifiant Den gamle kongelige samling, « L'ancienne collection royale »). Le manuscrit a été restitué à l'Islande en 1971, et est désormais conservé à l'institut Árni Magnússon.
En 1662, Brynjólfur fit don du manuscrit au roi de Danemark Frederik III, par l'intermédiaire deLe Codex Regius est l'œuvre d'un scribe islandais unique. Il s'agit peut-être d'une copie d'un manuscrit plus ancien (vers 1240), qui pourrait lui-même être issu de collections thématiques de poèmes, entreprises à partir du début du XIIIe siècle.
Il est aujourd'hui constitué de quarante-cinq feuillets : huit ont en effet disparu au XVIe ou au début du XVIIe siècle. Cette « Grande lacune » contenait un ou plusieurs poèmes relatifs à l'histoire de Sigurðr, dont le contenu peut-être reconstitué grâce à la Völsunga saga.
Le compilateur a soigneusement arrangé les poèmes. Il en résulte d'abord une division entre poèmes mythologiques et poèmes héroïques.
La première partie s'ouvre sur la Völuspá, poème structurant qui fait le récit du commencement, de la destruction et de la renaissance du monde. Suivent les Hávamál, les Vafþrúðnismál, les Grímnismál, les Skírnismál, le Hárbarðsljóð, la Hymiskviða, la Lokasenna, la Þrymskviða, la Völundarkviða et les Alvíssmál.
Au sein de cet ensemble de textes au contenu et au style disparates, les uns didactiques, les autres narratifs, tantôt dramatiques, tantôt humoristiques, mêlant dans des proportions variées prose et poésie, styles direct et indirect, monologues et dialogues, les poèmes sont regroupés selon le dieu qui en est le héros principal, même si la Völundarkviða s'intercalle curieusement entre deux poèmes centrés sur Þórr.
Reginsmál, Fáfnismál, Sigurdrífumál, Brot af Sigurðarkviðu, Guðrúnarkviða I, Sigurðarkviða hin skamma, Helreið Brynhildar, Dráp Niflunga, Guðrúnarkviða II, Guðrúnarkviða III, Oddrúnargrátr, Atlakviða, Atlamál, Guðrúnarhvöt et Hamdismál. Les deux cycles sont liés par le fait que Helgi Hundingsbani est présenté comme le demi-frère de Sigurðr.
La seconce partie suit un ordonnancement chronologique : au cycle de poèmes consacré aux deux Helgi – Helgakviða Hundingsbana I, Helgakviða Hjörvarðssonar et Helgakviða Hundingsbana II, succède un cycle consacrés à Sigurðr et aux Niflungar : Frá dauða Sinfjötla, Grípisspá,Bien qu'ils ne soient conservés que dans un manuscrit tardif, les poèmes eddiques sont le produit d'une longue transmission orale, même si ses modalités, les processus de révision, de recomposition, auxquels ils ont été soumis au fil du temps, ne peuvent donner lieu qu'à des spéculations. De même, il n'existe que peu d'indices sur les circonstances de la récitation des poèmes ou l'audience à laquelle ils étaient destinés.
Cette transmission a parallèlement laissé une trace iconographique. Certains motifs mythologiques ou héroïques sont représentées dans de la pierre, du bois ou de l'ivoire, ainsi de la pêche de Þórr, illustrée, au cours de la période viking, sur les pierres d'Altuna (Suède) ou de Hørdum (Danemark), ou de la légende du forgeron Völundr, figurée sur le coffret d'Auzon (Northumbrie, début du VIIIe siècle).
C'est pourquoi les poèmes mythologiques fournissent un éclairage particulièrement précieux, davantage que la très rationalisée Edda de Snorri, sur le paganisme nordique, même s'ils ne disent que peu de choses sur les croyances ou les pratiques rituelles des anciens Scandinaves au quotidien.
Quant aux poèmes héroïques, ils puisent leur inspiration dans de très anciennes traditions germaniques. Des personnages tels que Gunnar ou Atli (Attila) trouvent leur origine historique dans des souverains de la période des Grandes Invasions. Des correspondances existent avec des textes anglo-saxons (Widsith, Deor, Beowulf) ou allemands (Hildebrandslied et, bien plus tardivement, Nibelungenlied). Mais les canaux par lesquels ces récits sont parvenus jusqu'en Scandinavie restent hypothétiques.
La date et le lieu de composition demeurent de même incertains. Plusieurs indices ont été sollicités pour tenter de les établir : la langue (archaïsmes, emprunts lexicaux...), les connections avec des textes datables (poèmes scaldiques en particulier), l'histoire et l'archéologie, la faune et la flore, les influence classique et chrétienne... En tout état de cause, la rédaction des poèmes eddiques s'étend sur une vaste période – peut-être du IXe au XIIIe siècles, et la datation de chaque poème a donné lieu à débats entre chercheurs : des dates de composition allant du IXe au milieu du XIIIe siècles ont ainsi pu être suggérées pour la Þrymskviða.
Quant à leur origine géographique immédiate, elle est à rechercher en Norvège et dans ses établissements atlantiques, Islande principalement, mais aussi Groenland (Atlamál ?), voire dans les îles Britanniques.
Les différents poèmes proviennent donc d'auteurs, d'époques, d'environnement différents.
Les poèmes eddiques ont toutefois en commun une prosodie héritière du long vers germanique. Les deux mètres les plus répandus sont le fornyrðislag (« mètre des récits anciens »), dont le málaháttr (« mètre du discours ») constitue une variante, et le ljóðaháttr (« mètre des chants »). Ils obéissent à des règles en matière d'accentuation et d'allitération, toutefois moins contraignantes qu'en poésie scaldique. De même, heiti et kenningar s'y recontrent moins nombreux.
Par rapport à leurs homologues en vieux haut-allemand ou en vieil anglais, les poèmes eddiques se distinguent par leur découpage en strophes, chaque demi-strophe consituant par ailleurs généralement une unité syntaxique.
Quelques éditions et traductions
- Edda : die Lieder des Codex Regius nebst verwandten Denkmälern. Herausgegeben von Gustav Neckel. Bd. I, Text. 5. verbesserte Auflage von Hans Kuhn. Heidelberg : Winter, 1983.
- Eddukvæði. Jónas Kristjánsson og Vésteinn Ólason gáfu út. Reykjavík : Hið Íslenzka Fornritafélag, 2014. 2 vol.
- The Poetic Edda. Edited with translation, introduction and commentary by Ursula Dronke. New York ; Oxford : Oxford University Press, 1969-2011. 3 vol.
- Kommentar zu den Liedern der Edda. [Herausgeber], Klaus von See ... [et al]. Heidelberg : Winter, 1997-2012. 7 vol.
- L'Edda poétique. Textes présentés et traduits par Régis Boyer. Paris : Fayard, 1992.
- The Poetic Edda. Translated with an introduction and notes by Carolyne Larrington. Oxford ; New York : Oxford University Press, 1999.