Les Reginsmál (« Dits de Reginn ») sont un poème héroïque de l'Edda. Ils constituent le début du récit de la jeunesse de Sigurðr et introduisent le motif de l'or maudit.
Les Reginsmál, qui doivent leur nom à Sophus Bugge, ont été conservés dans le Codex Regius, où ils succèdent à la Grípisspá et précèdent les Fáfnismál (dont ils ne se distinguent pas dans le manuscrit).
Certaines strophes sont également citées dans la Völsunga saga et dans le Nornagests þáttr. Son contenu est paraphrasé en tout ou partie dans ces textes, ainsi que dans les Skáldskaparmál. Plusieurs de ses scènes sont représentées sur des portails de stavkirker norvégiennes (Lardal, Mæl, Hylestad, Vegusdal) ou des pierres historiées suédoises (Rasmund, Gök). Une partie des événements rapportés figurent également dans Regin Smiður, première ballade du cycle féroïen nommé Sjúrðarkvæði.
Les Reginsmál sont composés de vingt-six strophes et de dix passages en prose.
Le poème débute in medias res : Sigurðr choisit un cheval parmi le troupeau de Hjálprekr. C'est chez le roi Hjálprekr qu'il fait la connaissance de Reginn, qui devient son père adoptif. Reginn est décrit comme « le plus adroit de tous les hommes », un « nain de taille », « intelligent, féroce et doué pour la magie ».
dieux, Óðinn, Hœnir et Loki, se rendirent à la cascade d'Andvari (« Andvarafors »), où Loki tua une loutre. Mais il s'agissait d'Otr, fils de Hreiðmar et frère de Fáfnir et Reginn. Ceux-ci s'emparèrent des dieux, et leur promirent la mort, à moins qu'ils ne remplissent et ne recouvrent d'or la peau de la loutre. Loki retourna alors à la cascade, où il s'empara du nain Andvari, qui avait pris la forme d'un brochet. Il exigea alors tout son or, ainsi qu'un anneau, qu'Andvari maudit. Cette malédiction, Loki la profère également à l'encontre de Hreiðmar. Peu après, celui-ci, qui refusait de partager l'or avec ses fils, fut tué par Fáfnir, qui accapara tout le trésor, au détriment de Reginn.
Il est d'abord question du trésor d'Andvari. Reginn parle à Sigurðr de ses ancêtres, et lui raconte comment troisLa position de ce récit, au début du premier poème à introduire Sigurðr dans un rôle actif, place l'ensemble du cycle de poèmes qui suit sous le signe de la malédiction, ainsi formulée par Andvari (str. 5) :
La triade de dieux à l'origine de la malédiction de l'anneau est identique à celle présente dans le mythe de Þjazi (Haustlöng ; Skáldskaparmál, ch. 2-3), et les deux récits présentent un certain nombre de parallèles : mise à mort d'un animal (le bœuf que les dieux tentent de faire cuire), créature fantastique ayant pris une apparence animale (le géant Þjazi sous forme d'aigle), rôle déclencheur de Loki, versement d'une rançon lourd de conséquences (Iðunn et ses pommes, dont l'absence provoque le vieillissement des dieux)... Le mythe a sans doute servi de modèle au récit des Reginsmál.
Puis, il est question de la vengeance de Sigurðr. Le roi Hjálprekr lui fournit une flotte pour affronter le roi Lyngvi et ses frères, les fils de Hundingr, meurtriers de Sigmundr. Au cours du trajet est embarqué un homme qui se présente comme Hnikarr, l'un des noms d'Óðinn, et éclaire Sigurðr sur les présages, bons ou mauvais, qu'il est loisible d'observer avant un combat. Puis a lieu une bataille au cours de laquelle périssent les fils de Hundingr. Lyngvi subit le supplice de l'Cette vengeance connecte thématiquement les Reginsmál aux deux poèmes relatifs à Helgi Hundingsbani (Helgakviða Hundingsbana I et II), dans lesquels Helgi, fils de Sigmundr, affronte Hundingr et ses fils. Il existe également des correspondances verbales entre ces œuvres, l'histoire de Helgi ayant certainement servi de modèle.
Le rôle d'Óðinn évoque quant à lui un épisode de la vie de Hadingus, telle que rapportée par Saxo Grammaticus dans la Gesta Danorum (Livre I). Là aussi, le héros prend à son bord le dieu, sous l'apparence d'un vieillard, qui lui délivre des conseils.
Disséminés dans le poème figurent des épisodes relatifs à la jeunesse de Sigurðr, dont un certain nombre trouvent leur équivalent dans la Þiðrekssaga ou le Hurnen Seyfrid (l'acquisition du cheval Grani, l'éducation par un forgeron dont le frère a pris l'apparence d'un dragon, la création de l'épée Gramr).
Le poème se conclut par le retour chez Hjálprekr. « Alors Reginn poussa Sigurðr à tuer Fáfnir ». Cete répétition (la même formule est employée avant la strophe 15) constitue une transisition vers le poème suivant, les Fáfnismál, et vers la mort de Fáfnir, dont les Reginsmál ont à la fois présenté le but (s'emparer de l'or du dragon) et le moyen (l'épée Gramr).
Deux mètres différents se recontrent dans le poème, le ljóðaháttr et le fornyrðislag. Recoupant une variation thématique, ils ont conduit la recherche à postuler l'existence de deux poèmes, voire davantage, à l'origine des Reginsmál. Ainsi, pour Andreas Heusler, un *Hortlied en ljóðaháttr, consacré au trésor, et un *Vaterrachelied en fornyrðislag, centré sur la vengeance de Sigurðr, auraient été recombinés pour donner naissance aux Reginsmál et aux Fáfnismál. Les alternances dans la métrique pourraient toutefois aussi bien relever d'un choix stylistique du rédacteur.
En tout état de cause, l'auteur du poème tel qu'il est conservé dans le Codex Regius (vers 1270) a retravaillé un matériau préexistant, auquel il est difficile d'assigner une date. C'est ce qu'attestent un certain nombre d'incohérences et de contradictions entre la prose et les vers (ainsi, il est indiqué dans l'introduction en prose que Reginn élève Sigurðr, mais Reginn annonce à la strophe 14 qu'il va l'élever).
Source
- Reginsmál. In : Klaus von See ... [et al.]. Kommentar zu den Liedern der Edda. Bd. 5. Heldenlieder. Heidelberg : Winter, 2006. P. 223-352.