Passionnée par l'Islande, Mary Gordon (Mrs. Disney Leith) (1840-1926) y effectua de nombreux séjours, qui lui inspirèrent récits de voyage, poèmes, traductions.

Portrait de Mary Gordon (Mrs. Disney Leith)Mrs. Disney Leith.
Photographie provenant de l'anthologie Poets of the Wight de Charles John Arnell (1922).
Mary Gordon est issue d'une riche famille aristocratique, qui possédait des domaines dans l'Aberdeenshire et sur l''île de Wight. Elle est la cousine du poète Algernon Swinburne, dont elle fut sans doute le grand amour de jeunesse. Cet amour n'était pas partagé, et elle épousa le général Disney Leith, un héros des guerres sikhes, dont elle eut six enfants.

Comme bien d'autres lecteurs de l'époque victorienne, l'intérêt de Mary Gordon pour l'Islande fut éveillé par la parution en 1861 de The Story of Burnt Njal, traduction de la Njáls saga par George Dasent. Alimentée également par les récit de Sabine Baring-Gould, Iceland, its scenes and its sagas (1863) ou de William Morris, qui séjourna en Islande en 1871 et 1873, la passion de Mary Gordon pour la culture et la littérature islandaises la conduisit à apprendre la langue.

Elle venait alors d'entamer une carrière d'écrivain : son premier roman, Mark Dennis ; or, The Engine-Driver. A Tale of the Railway est paru en 1859. Elle en publia quinze au total, souvent des histoires d'amour empruntes de conservatisme et de moralité chrétienne, destinées à un public de jeunes filles ou de jeunes femmes.

La découverte de la culture islandaise lui inspira la rédaction de la nouvelle Hvit the Fosterling, qui parut en 1864 dans le périodique The Monthly Packet, sous-titré Evening Readings for Younger Members of the English Church.

Il s'agit en effet d'une histoire édifiante. C'est celle de Hvit, un enfant si chétif qu'il est exposé par son père, avant d'être recueilli par une famille voisine. Plus tard, il accompagne son demi-frère en Norvège, pour y découvrir la nouvelle foi – l'histoire se déroule au temps d'Olaf Tryggvason et du missionnaire Thangrbrand. Il en revient prêtre et convertit sa famille d'adoption. Il manque en revanche d'être tué par son frère de sang, dont il sauve cependant la vie. Hvit meurt peu après, après avoir béni les membres de sa famille, désormais tous chrétiens.

Mrs. Disney Leith, The-eruption-of-the-great-GeyserL'éruption du grand geyser.
Aquarelle de l'auteur pour Iceland.
Ce n'est qu'après la mort de son mari, en 1892, que Mary Gordon put songer à découvrir l'Islande. Elle y entreprit le premier de ses dix-huit voyages en 1894, y retournant pratiquement chaque année jusqu'en 1914. Ses expéditions à travers l'île ont alimenté son œuvre littéraire : récits de voyages, poèmes, traductions.

Les premiers (Three Visits to Iceland, 1897 ; Iceland, dans la collection pour enfants Peeps at Many Lands, 1908, ainsi que plusieurs articles dans The Scottish Standard Bearer) font naturellement une large place à la nature islandaises : aurores boréales, Gullfoss, Geysir, Hekla, dont elle gravit les pentes à l'âge de soixante-dix ans, à sa faune – en particulier les chevaux, qu'elle affectionnait particulièrement, ainsi qu'aux us et coutumes des habitants de l'île, parmi lesquels elle noua de nombreux liens d'amitié.

Mais ce sont les lieux immortalisés par les sagas qui retinrent plus particulièrement son attention, ainsi de Thingvellir, où elle pouvait imaginer « what it looked like in the days when the booths of the chiefs and law-men were set all around the plain, where mighty Gunnar of Hlitharendi first met his beautiful but hard-hearted wife » (Three Visits to Iceland, p. 40), d'Oddi – « the Oddi of Sæmund the learned and Jón Loftsson » (ibidem, p. 140), ou de l'emplacement de la ferme de Njál : « Our parsonage is on the believed site of Njál's skáli. […] A great thought for me, who had loved Njál and his Story for so many years, and now at last have travelled over the country once so familiar to his wise and kindly eyses – to his old home and grave » (ibidem, p. 143).

Mrs. Disney Leith, BergthórshvolBergthórshvol
Dessin de l'auteur pour Three Visits to Iceland.

Three Visits to Iceland s'accompagne d'une traduction, par l'auteur, de « Gunnarshólmi » (« Gunnar's Holm »), poème dans lequel, en 1838, Jónas Hallgrímsson évoque la scène de la Njáls saga (ch. 75) dans laquelle Gunnar, banni, refuse finalement de quitter l'île après s'être retourné et avoir contemplé les pentes et la ferme de Hlíðarendi – un paysage également admiré par Mary Gordon (Three Visits to Iceland, p. 145).

Mrs Disney Leith, BessastadLa ferme de Bessastad (Bessastaðir), demeure du poète et ami de Mary Gordon Grímur Thomsen, est devenue la résidence officielle de la Présidence de la République.
Dessin de l'auteur pour Three Visits to Iceland.
Son volume Original Verses and Translations (1895) contient, aux côtés de traductions de poètes islandais modernes, plusieurs poèmes originaux inspirés par les sagas, figurant en particulier dans la section intitulée « Songs from the sagas ». Des poèmes sont ainsi consacrés aux personnages de la Njála (« Hallgerda's Hair » –

« And all for lack of two locks of her head
(Soft as silk and yellow as grain)
On the floor of his dwelling the chief lies dead,
And arrows have fallen like Odin's rain.2»
 

– « The Death Song of Skarphedinn », « The Finding of Burnt Njal », « Kari's Revenge », « Flosi's Last Cruise »), de la Grettis saga (« Illugi »), mais aussi à la reine Gunnhild (« Queen Gunnhillda »1), à l'entrée de guerriers au Valhalla (« Valkyria's Song »), ou encore à l'évêque Thorlak (« Christmas at Skalholt »).

Ce dernier poème illustre l'intérêt que portait Mary Gordon au christianisme islandais antérieur à la Réforme, dans lequel se reconnaissait cette fidèle de la Haute Église, adhérant à l'anglo-catholicisme. À ce titre, elle attacha une importance particulière à sa visite de Skálholt, qu'elle qualifia de « pèlerinage »3. En effet, Skálholt est le siège épiscopal de Thorlak, le premier saint islandais, et d'autres prestigieux évêques.

C'est pour les mieux faire connaître que Mary Gordon entreprit une traduction partielle des sagas des évêques, qu'elle jugeait injustement méconnues, et qu'elle décrivait comme « a quaint, vivid, homely and realistic picture of the infant Church of Iceland, its struggles and its successes  » (Stories of the Bishops of Iceland, p. iii-iv). The Stories of Thorwald the Far-Farer, and of Bishop Isleif (1894) et Stories of the Bishops of Iceland (1895) contiennent des traductions du Þorvalds þáttr víðförla, de l'Ísleifs þáttr biskups, de la Hungrvaka et de la Þorláks saga helga.

Mrs. Disney Leith, site du martyre de l'évêque Jón ÁrasonSite du martyre de l'évêque Jón Árason.
Photographie de l'auteur reproduite dans Notes on some Icelandic Churches.
L'évêché de Hólar ne révêtait pas une importance moindre à ses yeux. Il fut en effet le siège de Jón Arason, le dernier évêque catholique d'Islande avant la Réforme, qui résista à l'introduction du luthéranisme par les Danois. Vaincu, il fut décapité à Hólar en 1550. Mary Gordon lui a consacré le poème « The Bell of Holar » (A Martyr Bishop4, and Other Verses, 1878). Elle y évoque la légende selon laquelle la cloche de l'église sonna d'elle-même au moment du martyre :

« And ever let Iceland
The story tell,
How, when her last Bishop
A Martyr fell,
Toll'd by no mortal hand,
Startling the stricken land,
Solemnly sounded Holar's great bell. »
 

En 1912, elle commanda un mémorial qui devait être érigé au-dessus de la tombe de l'évêque.

Sa sympathie pour le christianisme islandais se révèle également à travers son intérêt pour les églises et leurs « reliques du passé » (mobilier, vêtements, objets liturgiques). Elle leur consacra des Notes on some Icelandic Churches, parues dans le Saga-Book du Viking Club (vol. 4, 1905-06, p. 364-381).

Mrs Disney Leith, église de SkálholtL'église de Skálholt, « mean to a degree, ill-kept above the average, unused even on Sunday, except as a promiscuous storehouse ».
Photographie de l'auteur reproduite dans Notes on some Icelandic Churches.
Profondément attachée au patrimoine islandais, Mary Gordon en redoutait la disparition, qu'il s'agisse des manuscrits – « alas ! All the real old good ones are taken to Copenhagen (Three Visits to Iceland, p. 29) et autres antiquités – « it is dreadful to think of the Icelanders letting such things go out of their country, and selling their precious relics for foreign gold ! (ibidem, p. 60, voir aussi p. 62), de ses paysages – elle déplore ainsi la construction d'une route sur le site de Thingvellir : « Alas ! that modern vandalism has even here desecrated the ancient landmark » (Notes on some Icelandic Churches, p. 367), de ses édifices, dont elle craint les restaurations maladroites, les reconstructions indignes de leur splendeur passé – l'actuelle église de Skálholt est « à faire pleurer les anges », ou l'abandon, à l'image des églises en tourbe (ibidem, p. 369, 371 et 381).


1 Le poème repose sur une tradition relative à la mort de Gunnhild, rapportée par plusieurs sources et évoquée par Dasent dans un appendice à sa traduction de la Njáls saga, selon laquelle le roi de Danemark Harald Blåtand l'aurait demandée en mariage et, à son arrivée au Danemark, l'aurait fait noyer dans un marécage.
2 Andrew Wawn (The Vikings and the Victorians, 2000, p. 171) a écrit à propos de ce poème : « Though wholly different in concept and execution, and not striving for acceptance as high art, this Leith poem arguably deserves a place alongside William Morris's ‘Gunnar's Howe above the House at Lithend’ as the two most arresting poems in English inspired by Burnt Njal. »
3 Three Visits to Iceland est sous-titré being notes taken at sea and on land ; comprising a pilgrimage to Skalholt and visits to Geysir and the Njala district.
4 Le « martyr bishop » éponyme n'est pas Jón Arason, mais John Coleridge Patteson, un évêque anglican, missionnaire dans le Pacifique Sud, où il trouva la mort en 1871.
 

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