Ohthere est un navigateur et commerçant norvégien de la fin du IXe siècle, dont les récits de voyage ont été conservés dans une traduction anglo-saxonne d'Orose.
Orose est un prêtre espagnol, élève de Saint Augustin, à la demande de qui il rédigea les Historiae adversus paganos (Histoires contre les païens), qu'il lui présenta en 417. Il s'agit d'une histoire universelle destinée à démontrer que le déclin de l'Empire romain, illustrés par la prise et le pillage de Rome par les Wisigoths d'Alaric en 410, n'est en rien dû à l'abandon du paganisme.
L'œuvre a joui d'une grande popularité au Moyen Âge, et elle fait partie de ces livres qui sont, selon le roi du Wessex et des Anglo-Saxons Alfred le Grand (871-899) « les plus nécessaires à connaître pour tous les hommes1», et qu'il entendait, en conséquence, traduire ou faire traduire en anglo-saxon, dans le cadre d'un programme d'éducation de son peuple.
Les Historiae débutent par une description géographique du monde connu, dont toutefois, sans doute faute d'informations, l'Europe du Nord est exclue. C'est pour y remédier que sont ajoutées à la version anglo-saxonne les récits de deux voyageurs ayant séjourné auprès d'Alfred, Ohthere et Wulfstan (Livre I, chapitre 1).
Ohthere, adaptation anglo-saxonne du prénom Óttar, est originaire du Hálogaland, dans le nord de la Norvège. Ses activités de marchand et d'explorateur l'ont conduit à naviguer à travers l'Europe du Nord. Les raisons de sa présence en Angleterre vers 890, sans doute à la cour de Winchester, sont incertaines, tout comme le statut qu'il y occupait – simple invité du roi Alfred ou à son service ?
Le récit des voyages d'Ohthere présente une géographie physique et humaine de la Norvège et de l'Europe septentrionale. Il révèle aussi le portrait d'un chef, navigateur et explorateur viking, qui tire sa richesse de la culture et de l'élevage, des tributs qu'il prélève, de la chasse au morse et à la baleine, et du négoce des différentes marchandises acquises.
Même si ses itinéraires précis sont difficiles à identifier, et si un certain nombre de termes posent des difficultés d'interprétation, son témoignage est extrêmement précieux, car provenant d'un Scandinave, à une époque où les brèves inscriptions runiques constituent la seule forme d'écriture. Il faut sinon attendre jusqu'au début du XIe siècle pour disposer, sur la Scandinavie, de sources qui ne lui soient pas étrangères.
Rompant avec le style de ce qui précède, les récits d'Ohthere se présentent sous la forme d'un dialogue entre Ohthere et le roi Alfred. Ils sont introduits par « Ohthere dit à son seigneur, le roi Alfred, qu'il habitait le plus au nord de tous les Norvégiens » (« Ohthere sæde his hlaforde, Ælfrede cyninge, þæt he ealra Norþmonna norþmest bude »).
Le premier récit est celui d'un voyage l'ayant conduit à contourner la péninsule scandinave par le nord, pour arriver jusqu'en mer Blanche. Il avait non seulement pour but l'exploration de nouveaux territoires, mais aussi l'acquisition d'un bien extrêmement précieux : l'ivoire de morse, animal dont la peau était également prisée pour fabriquer des cordages solides.
Les rives de la mer Blanche sont fréquentés par les Beormas (Bjarmar en vieux norrois), un peuple de langue finno-ougrienne, selon le témoignage d'Ohthere, qui affirme que leur langage est voisin de celui des Finnas (Samis). Leur identité exacte, ainsi que la localisation de la région connue dans les sagas sous le nom de Bjarmaland – ainsi de l'Egils saga, où apparaît aussi un autre peuple mentionné par Ohthere, les Kvenir (Cwenas) – ont donné lieu à de nombreuses spéculations.
Le récit d'Ohthere vaut aussi pour ses informations sur les Finnas, leur implantation, leur mode de vie (nomade), leurs activités (la chasse et la pêche), et leurs rapports avec les Norvégiens. La richesse d'Ohthere consiste, non seulement en un vaste cheptel de rennes, mais provient aussi et surtout des tributs qu'il prélève sur ses voisins septentrionaux : peaux et fourrures (martes, rennes, ours), plumes d'oiseaux, os de baleines, cordes de navire en peau de baleine et de phoque...
La nécessité de négocier ces tributs en nature justifie sûrement le second voyage raconté par Ohthere, qui le conduit, d'abord, à Sciringesheal, un « port » du sud de la Norvège identifié à Kaupang, site marchand à l'embouchure du fjord d'Oslo, et, de là, jusqu'à Hæþum, c'est-à-dire Hedeby, le grand centre commercial du Jutland, au Danemark – le nom Denemearc apparaît d'ailleurs pour la première fois dans ce texte. Ce récit fournit ainsi des informations sur les circuits commerciaux, mais aussi sur la navigation à l'époque viking.
Éditions et traductions
- Two voyagers at the court of King Alfred : the ventures of Ohthere and Wulfstan, together with the Description of northern Europe from the Old English Orosius. Edited by Niels Lund ; translated by Christine E. Fell ; with contributory essays by Ole Crumlin-Pedersen, P.H. Sawyer, Christine E. Fell. York : Sessions, 1984
- Lebecq, Stéphane. Ohthere et Wulfstan. Deux marchands-navigateurs dans le Nord-Est européen à la fin du IXe siècle. In : Horizons marins, itinéraires spirituels. Vol. 2. Études réunies par Henri Dubois, Jean-Claude Hocquet, André Vauchez. Paris : Publications de la Sorbonne, 1987. P. 167-181.
- Ohthere's voyages : a late 9th-century account of voyages along the coasts of Norway and Denmark and its cultural context. Edited by Janet Bately & Anton Englert. Roskilde : Viking Ship Museum, 2007.