La pierre d'Istaby est une pierre runique commémorative remarquable, non seulement par son ancienneté (VIIe siècle), mais aussi par la série de noms qu'elle contient.

Pierre runique d'Istaby (face antérieure)Face antérieure de la pierre d'Istaby.
Stockholm, Historiska museet.
La pierre runique d'Istaby (cote DR 359) appartient, avec celles de Stentoften et de Gummark, à un groupe de pierres retrouvées dans un périmètre restreint dans le canton (« härad ») de Lister, dans le Blekinge, une province du sud de la Suède, et qui se réfèrent aux membres d'une même famille.

Bloc de granit de 1,8 mètres de haut et 70 centimètres de large, la pierre d'Istaby est pour la première fois mentionnée en 1748. Elle est alors située dans le village d'où elle tire son nom, à proximité de Sölvesborg. Elle a été déplacée à Stockholm en 1878, et est exposée au Historiska museum.

L'inscription est rédigée en ancien fuþark, dans une langue proto-nordique. Elle est composée de deux rangées de runes sur la face antérieure de la pierre et d'une rangée sur son flanc gauche.

Afatʀ hAriwulafa
hAþuwulafʀ hAeruwulafiʀ
warAit runAʀ þAiAʀ
À la mémoire de Hariwulfʀ,
Haþuwulfʀ, fils/descendant de Hæruwulfʀ,
a écrit ces runes.1
 

Les runes sont gravées nettement et profondément, l'inscription est très bien conservée, et sa translittération et sa traduction ne soulèvent pas de difficulté.

La formule commémorative peut sembler banale mais la pierre d'Istaby compte parmi les plus anciennes pierres runiques de Suède – elle est datée du VIIe siècle – et il s'agit de la plus ancienne véritable dédicace funéraire figurant sur un monument runique.

Ainsi que l'a souligné Henrik Williams, les pierres de Lister occupent une position intermédiaire entre le plus ancien corpus runique et celui de la période viking, une position reflétée par le lieu où elles ont été dressées : dans un territoire appartenant alors au Danemark, où sont apparues les premières inscriptions runiques, mais à l'intérieur des actuelles frontières de la Suède, là où les pierres runiques commémoratives se sont développées2.

L'onomastique retient également l'attention.

Pierre runique d'Istaby (face latérale)Face latérale de la pierre d'Istaby.
Dessin de George Stephens pour son Handbook of the old-northern runic monuments of Scandinavia and England (1884).
Les noms figurant dans l'inscription sont dithématiques, et ont en commun le second élément -wulfʀ (« loup »). Ce second élément fixe au sein d'un même lignage renvoie à un très ancien usage germanique : déjà au Ier siècle, Tacite, dans les Annales, évoque les chefs des Chérusques Inguiomerus et Segimerus. Le Hildebrandslied connaît le lignage Heribrant, Hiltibrant et Hadubrant.

Les premiers éléments sont quant à eux allitérants. Il s'agit là aussi d'un usage bien attesté dans le monde germanique, et notamment nordique. L'Ynglingatal en fournit un exemple, avec la succession des rois Dómaldi, Dómarr, Dyggvi et Dagr.

Ces premiers éléments renvoient tous au registre de la guerre. Ils renforcent ainsi l'élément -wulfʀ, le loup étant associé à l'idéologie guerrière chez les Germains et, plus généralement, les Indo-Européens.

Haþu-, en vieil anglais heaðo-, en vieux norrois höð (dans le langage poétique), signifie « bataille » : Haþuwulfʀ est le « loup de la bataille ». Hariwulfʀ est quand à lui le « loup de l'armée » : le premier élément correspond au vieux norrois herr. L'équivalent vieil anglais herewulf est employé dans la Genèse anglo-saxonne comme métaphore désignant le guerrier. Hæruwulfʀ3 est le « loup de l'épée », avec un premier élément équivalent au vieux norrois hiörr. L'équivalent anglo-saxon, heoruwulf, désigne également un guerrier dans l'Exode. Ces trois noms correspondent aux prénoms norrois Hálfr, Herjólfr et Hjörólfr.

L'examen de ces noms suggère donc l'appartenance à une élite guerrière ou à un lignage noble, sinon royal. Leur choix refléterait les idéaux héroïques de l'aristocratie.

L'élément -wulfʀ pourrait de plus signifier que le loup est l'animal-totem du clan, voire renvoyer à l'appartenance à une société cultuelle guerrière à rite initiatique, comportant une identification au loup4. Des témoignages, tant archéologiques que littéraires, permettraient d'établir l'existence, dans le monde germanique, de tels Männerbünde, dont les berserkir (« chemises d'ours ») ou úlfhéðnar (« pelisses de loup ») de l'époque viking constitueraient l'ultime avatar.

Si l'inscription de la pierre d'Istaby renvoie à l'idéologie guerrière, celles de Stentoften et de Gummark associent en revanche Haþuwulfʀ à des fonctions cultuelles en lien avec la fertilité.


1 Musset, Lucien. Introduction à la runologie. Paris : Aubier-Montaigne, 1965. P. 366. (Bibliothèque de philologie germanique).
2 Williams, Henrik. Lister. §2. Runological. In : Reallexikon der Germanischen Altertumskunde. Bd. 18. Berlin : Walter de Gruyter, 2001. P. 509-512.
3 Dans hAeruwulafiʀ, le second élément -wulfʀ est complété par le suffixe -ijaʀ (sous une forme contractée), marquant l'appartenance : Haþuwulfʀ appartient à la lignée de Hæruwulfʀ.
4 Sundqvist, Olof ; Hultgård, Anders. The lycophoric names of the 6th to 7th century Blekinge rune stones and the problem of their ideological background. In : Namenwelten : Orts- und Personennamen in historischer Sicht. Berlin ; New York : Walter de Gruyter, 2004. P. 583-602.