Le Þiðranda þáttr ok Þórhalls (« Dit de Þiðrandi et Þórhallr ») est un þáttr d'inspiration chrétienne, annonçant, au moyen d'un événement surnaturel, l'arrivée du christianisme en Islande.

Þiðranda þáttr ok Þórhalls dans le FlateyjarbókLa Flateyjarbók contient l'une des quatre rédactions du Þiðranda þáttr ok Þórhalls.
Stofnun Árna Magnússonar, Reykjavík.
Þórhallr, un Norvégien venu en Islande, était surnommé le prophète (« spámaðr ») en raison de ses prémonitions. Il était l'ami de Síðu-Hallr, dont le fils, Þiðrandi, faisait la fierté. Mais Þórhallr annonça que la vie de ce dernier serait brève.

Lors du banquet des veturnætur (« nuits d'hiver »)1, Þórhallr recommanda de ne pas sortir, quoi qu'il advienne. C'est pourtant ce que fit Þiðrandi en entendant frapper à la porte. Là, il vit, d'un côté, chevaucher neuf femmes vêtues de noir, qui tenaient leur épée tirée, de l'autre, neuf femmes en vêtements clairs, qui montaient des chevaux blancs. Les premières l'attaquèrent et le blessèrent mortellement.

Þórhallr interpréta ce qui s'était produit. Cet événement était annonciateur du changement de religion. Les premières femmes étaient les fylgjur de la famille, tandis que les autres étaient les dises2 de la nouvelle religion à venir. Les premières, furieuses de savoir que la famille se détournerait bientôt d'elles, s'étaient vengées, tandis que les secondes étaient encore incapables de la protéger.

Le Þiðranda þáttr og Þórhalls fait partie de l'Ólafs saga Tryggvasonar en mesta, composée vers 1300, où il précède le récit de la mission de Þangbrandr en Islande et le baptême de Hallr et d'autres chefs. Il est possible qu'il trouve son origine dans l'Ólafs saga Tryggvasonar de Gunnlaugr Leifsson, composée vers 1200, mais il pourrait aussi s'agir d'une composition plus tardive.

Ce þáttr a fait l'objet de nombreux travaux, tentant d'éclairer ses différents épisodes3.

Certains chercheurs ont ainsi tenté d'expliquer de façon rationnelle la mort Þiðrandi : il serait mort foudroyé, son épée brandie ayant agi comme un paratonnerre, ou aurait été agressé par une bande de païens déguisés.

Mais le combat entre les deux groupes de dises est plus généralement interprété de façon symbolique.

Il pourrait ainsi rendre compte de la crainte, éprouvée par les Islandais au moment de la conversion, de perdre la protection des esprits attachés à leur famille ou à leur domaine, voire de subir leur vengeance, et la peur de se couper de leurs ancêtres en adoptant une nouvelle religion.

Plus récemment, Merrill Kaplan a suggéré une intention politique. En insistant sur les vertus de Þiðrandi – la bonté, l'humilité, qui en font l'une des figures du « noble païen »4, l'auteur minore le rôle du roi de Norvège et de ses missionnaires dans la conversion au christianisme, et affirme la continuité de l'histoire spirituelle de l'Islande.

Traductions

  • Le dit de Þíðrandi et de Þórhallr. In : Boyer, RégisLes Sagas miniatures (þættir). Paris : Les Belles Lettres, 1999.
  • The Tale of Thidrandi and Thorhall. Transl. by Terry Gunnell. In : The complete sagas of Icelanders, including 49 tales. Vol. II. General editor, Viðar Hreinsson ; editorial team, Robert Cook et al. ; introduction by Robert Kellogg. Reykjavík : Leifur Eiríksson Publishing, 1997.
  • Thidrandi Whom the Goddesses Slew. In : Eirik the Red and other Icelandic sagas. Translated with an introduction by Gwyn Jones. Oxford ; New York : Oxford University Press, 2008.
 

1 Les veturnætur désignaient une période de deux nuits, au mois d'octobre, qui marquaient le début de l'hiver. Elles s'accompagnaient d'événements sociaux (banquets), et peut-être aussi de sacrifices religieux, notamment aux dises (dísablót). Il a été d'ailleurs été suggéré que la mort de Þiðrandi résulterait d'un défaut de sacrifice aux dises de la part de Hallr (bien que ce ne soit pas mentionné dans le þáttr).
2 Les dises sont des divinités anciennes et obscures. Parfois associées à la fertilité, elles sont souvent confondues avec les valkyries, les nornes, ou, comme ici, avec les fylgjur, qui sont les esprits tutélaires d'une famille ou d'un individu.
3 Dont on trouvera une synthèse, avec les références, dans : Kaplan, Merrill. Prefiguration and the Writing of History in Þáttr Þidranda ok Þórhalls. Journal of English and Germanic Philology, 99 (2000). P. 379-394.
4 Sur ce concept, voir : Lönnroth, Lars. The Noble Heathen: A Theme in the Sagas. Scandinavian Studies, 41-1 (1969). P. 1-29.