La Gyðinga saga (« Saga des Juifs ») est une saga de la moitié du XIIIe siècle consacrée à l'histoire du peuple juif, notamment par une traduction du Livre des Maccabées.

Elle s'inscrit parmi les traductions islandaises médiévales de textes issus de l'Ancien Testament, aux côtés de la Stjórn, qui raconte l'histoire du monde de la Création à l'Exil, ou de la traduction du Livre de Judith contenue dans le manuscrit AM 764 4to.

 Gyðinga saga dans le manuscrit AM 226 fol.Début de la Gyðinga saga dans le manuscrit AM 226 fol.
Reykjavík, Stofnun Árna Magnússonar.
La Gyðinga saga est conservée en tout ou partie dans cinq manuscrits sur parchemin, et dans un assez grand nombre de manuscrits sur papier. Le principal, daté d'environ 1350-1360, est le manuscrit AM 226 fol., dans lequel la saga, complète, est précédée d'autres œuvres religieuses ou historiques (Stjórn, Rómverja saga, Alexanders saga). Les manuscrits AM 655 XXV 4to (vers 1300) et AM 238 XVII fol. (début du XIVe siècle) sont plus anciens, mais fragmentaires. Ils conservent la trace d'une version plus longue de la saga.

Le texte, qu'Árni Magnússon (1663-1730) dénommait Historia Judaica ou Historia Macchabæorum, a reçu son présent nom au XIXe siècle, et c'est sous ce titre qu'il a été pour la premier fois édité par Guðmundur Þorláksson en 1881.

La Gyðinga saga évoque d'abord les conquêtes d'Alexandre le Grand, puis la division de son empire. Sa partie orientale – dont la Judée – revint à la dynastie des Séleucides. Elle raconte ensuite la révolte juive des Maccabées – d'après le surnom de Judas Maccabée, l'un des membres de cette famille – contre l'oppression du roi Antiochos IV Épiphane, qui accèda au pouvoir en 175 av. J.-C. Cette première partie s'achève avec la mort de Simon (134 av. J.-C.), frère de Judas et fondateur d'une dynastie désormais à la tête d'un État juif indépendant.

Sa source principale est le premier Livre des Maccabées, complété de quelques informations provenant de l'Historia Scholastica (1173) de Pierre le Mangeur (Petrus Comestor), vaste compilation d'histoire sainte, dans laquelle les récits bibliques sont accompagnés de gloses de provenance variée. Elle emprunte davantage au deuxième Livre des Maccabées, d'une dimension plus religieuse et moins politique que le premier, et dont le contenu inclut des récits légendaires ou surnaturels. Ici, comme dans la suite de la saga, l'influence de l'œuvre de Flavius Josèphe (Antiquités judaïques et Guerre des Juifs) a également été suggérée, mais elle n'est probablement qu'indirecte.

La deuxième partie de la saga suit pour l'essentiel l'Historia Scholastica. Elle s'ouvre sur le règne de Jean Hyrcan, fils de Simon, évoque ses conquêtes, puis se poursuit avec les conflits qui déchirèrent sa dynastie, conduisant à l'intervention romaine et à la perte de l'indépendance. Peu après la mort d'Hérode, la Judée passa sous le contrôle direct de Rome, représentée par des préfets, parmi lesquels Ponce Pilate, dont la nomination (26 ap. J.-C.) constitue le terme de cette partie.

Dans la troisième partie, il est question de légendes entourant la naissance, la vie et la mort de Ponce Pilate, entrecoupées d'un récit apocryphe de la vie de Judas Iscariote. Ces légendes proviennent d'une Historia apocrypha, connue de plusieurs manuscrits médiévaux, qui aurait été l'une des source de la Légende dorée de Jacques de Voragine.

Nic Schiøll, Magnus Lagabøte, tinghus de TrondheimRelief en céramique de Nic Schiøll représentant le roi Magnús, à l'entrée du tinghus (palais de justice) de Trondheim (1937-1951).L'ouvrage s'achève par un épilogue relatif à son auteur : « Ce livre a été traduit par le saint prêtre Jérôme de l'hébreu en latin. Mais il a été traduit du latin en norrois par le prêtre Brandr Jónsson, qui a ensuite été évêque de Hólar et [Brandr] ensuite [a traduit] Alexandre le Grand [i.e. l'Alexanders saga] sur la requête de l'éminent seigneur, le seigneur roi Magnús, fils du roi Hákon l'Ancien ».

L'origine de la saga est donc attribuée, d'abord, à la Vulgate de saint Jérôme, même si seule la première partie, traduction du premier Livre des Maccabées, pourrait être concernée1.

La saga dans son ensemble démontre toutefois une unité de style, qui tend à indiquer un auteur unique. La mention de Brandr Jónsson pourrait être le fait d'un traducteur anonyme désireux de renforcer l'autorité de son œuvre en lui prêtant un auteur renommé, mais cette attribution peut être tenue pour vraisemblable.

Dès lors, il devient possible de dater la composition de la saga. Brandr est mort en 1264, mais la saga est attribuée au « prêtre Brandr ». Abbé du monastère de Þykkvabær, Brandr n'a été consacré évêque que le 4 mars 1263. Et puisque la traduction aurait été entreprise à la demande de Magnús Hákonarson, devenu roi en 1257, la composition se situerait entre 1257 et 1263, et plus précisément à partir de 1262, date de l'arrivée de Brandr en Norvège pour sa consécration, et de sa rencontre avec le roi à Trondheim.

Quel qu'en soit l'auteur, la façon dont il a choisi d'adapter ses sources renvoie à des problématique politiques et religieuses contemporaines de la fin de l'État libre islandais et de la soumission de l'Islande aux rois de Norvège : il a ainsi omis les passages susceptibles d'être offensants pour les rois ; en même temps, il insiste sur l'importance de préserver les lois traditionnelles (tout en laissant ouverte la possibilité d'ajustements pour le bien du peuple) et sur le droit des propriétaires de défendre leurs domaines ancestraux ; il est enfin question de la désignation des évêques2, dont il est souhaitable qu'ils soient choisis par et parmi leur propre peuple, avant d'être confirmés par le roi (l'autorité de Rome primant dans tous les cas). Pour s'en tenir à un seul des exemples fournis par David Ashurst, là où le texte latin parle des Hassidéens s'exhortant à se battre « pour notre peuple et pour notre saint lieu », l'auteur traduit « pour leur peuple et leur propriété ancestrale ». Le terme employé, « óðal », est particulièrement connoté, puisqu'il renvoie au mythe fondateur d'une Islande peuplée par des Norvégiens ayant fui la tyrannie du roi Haraldr hárfagri, précisément parce qu'il les dépossédait de leur óðal.

La Gyðinga saga est une œuvre peu connue en Islande au Moyen Âge, comme l'attestent le nombre modeste de manuscrits anciens, ou la rareté des références qui y sont faites. Ses qualités littéraires sont médiocres, la traduction est sans relief3. D'ambition plus historiographique que religieuse, elle semble avoir été conçue comme un manuel destiné à un public instruit, ou, pour reprendre la formule d'Horace (Ars Poetica), rédigée davantage pour prodesse (« être utile ») que pour delectare (« réjouir »).


1 Encore la traduction des deux premiers Livres des Maccabées dans la Vulgate n'est-elle pas l'œuvre de saint Jérôme, mais une plus ancienne version latine.
2 Le nom « grand-prêtre » est généralement rendu par biskup, « évêque », ce qui facilite l'analogie. Le traducteur se montre à plusieurs reprises soucieux de donner à son lecteur des références à des réalités qui lui sont familières. Ainsi explique-t-il à propos des pyramides que « ce sont de hautes tours », ou rend-il le nom de la déesse sumérienne Nanaia par Gefjon.
3 Même si le style des fragments plus anciens apparaît supérieur à celui de la version abrégée dans le manuscrit AM 226 fol. Il faut aussi souligner que le style des œuvres traduites ne se signale pas non plus par sa flamboyance.
 

Édition

  • Gyðinga saga. Edited by Kirsten Wolf. Reykjavík : Stofnun Árna Magnússonar á Íslandi, 1995.
 

Sources

  • Ashurst, David. Kings, Bishops, and Laws : The Old Norse-Icelandic Version of 1 Maccabees. In : Myths, Legends and Heroes : Essays on Old Norse and Old English Literature in Honour of John McKinnell. Edited by Daniel Anlezark. Toronto ; Buffalo : University of Toronto Press, 2011. P. 133-147.
  • Wolf, Kirsten. Gyðinga saga, Alexanders saga and Bishop Brandr Jónsson. Scandinavian Studies, 60-3 (Summer, 1988). P. 371-400.
  • Wolf, Kirsten. An Old Norse Record of Jewish History. The Jewish Quarterly Review, 77-1 (Jul., 1986). P. 45-54.
  • Wolf, Kirsten. The Sources of Gyðinga Saga. Arkiv för nordisk filologi, 105 (1990). P. 140-155.