Apparues au début de notre ère, les runes ont été l'écriture des anciens Germains avant de devenir celle des Scandinaves des périodes viking et médiévale. Plusieurs milliers d'inscriptions runiques constituent autant de témoignages des différents aspects de leur civilisation.
L'étymologie
L'origine du nom « rune » demeure incertaine. Il est toutefois généralement rapproché de noms tels que le gotique rūna, le vieil anglais rūn ou le vieux norrois rún qui tous contiennent l'idée de mystère, de secret. Cependant, une dérivation d'une racine indo-européenne signifiant « creuser », en accord avec le fait que les runes étaient gravées, a également été avancée.
Les origines
dieux. Sur la pierre runique de Noleby (Västergötland, VIe siècle), les runes sont qualifiées de raginaku(n)do, « venues des dieux ». La même formule se retrouve sur la pierre de Sparlösa (Västergötland, vers 800), et encore dans les Hávamál (str. 80), poème eddique peut-être composé en Islande vers 1200 dans sa forme actuelle. Selon une autre section des Hávamál (str. 138 et suivantes), la science des runes aurait été acquise par Óðinn au terme de son autosacrifice sur l'arbre cosmique Yggdrasill.
Plusieurs textes, de provenance et de date variables, attribuent une origine mythique aux runes, dons desLes questions portant sur l'origine historique des runes – sur quel modèle furent-elles inventées, quand, où, par qui, pour quoi ? – ont sans doute été les plus débattues depuis les origines de la runologie, sans que des réponses incontestables y aient été apportées.
Les plus anciennes inscriptions sont datées de la seconde moitié du IIe siècle (mais certaines pourraient être encore plus anciennes – la fibule de Meldorf, datée de la première moitié du Ier siècle, présente ainsi des caractères qui pourraient être des runes). Comme elles se rencontrent sur un espace relativement étendu, et qu'elles témoignent d'une maîtrise de ce type d'écriture, il est généralement admis que les runes sont apparues au moins un siècle plus tôt, soit vers le début de notre ère.
La majorité des plus anciens objets portant des inscriptions runiques a été retrouvée dans le sud de la Scandinavie : Danemark, sud de la Norvège, sud de la Suède, qui constituent donc, sinon le berceau de l'écriture runique, du moins le foyer de diffusion originel. Mais la question du lieu où les runes sont apparues ne se sépare pas de celle de leur modèle.
Il est en effet admis que les runes n'ont pas été créées ex nihilo par les peuples germaniques. La quête d’hypothétiques signes pré-runiques dans des gravures rupestres s'est en particulier révélée vaine. En revanche, des identités de principes d'écriture et des similitudes de caractères entre les runes et divers systèmes d'écriture méditerranéens ont conduit à rechercher des antécédents parmi eux.
Un modèle grec a été défendu : les runes seraient alors nées dans les environs de la mer Noire, où les Goths seraient entré en contact avec l'alphabet grec. Cette solution a été abandonnée, notamment pour des raisons chronologiques, les Germains n'apparaissant qu'au début du IIIe siècle dans la région, soit, au mieux, à la même époque que les plus anciennes inscriptions scandinaves. Une autre hypothèse, plus récente, voit comme modèle un alphabet grec archaïque, plusieurs siècles avant notre ère, mais elle se heurte à l'absence d'inscriptions aussi anciennes.
D'autres chercheurs voient le modèle des runes dans l'alphabet étrusque ou ses dérivés nord-italiques. En plus de la concordance de certaines formes de caractères et de leurs valeurs phonétiques, cette théorie peut s'appuyer sur des pratiques orthographiques (pas de double notation des lettres redoublées) et épigraphiques (sens d'écriture libre : de gauche à droite, de droite à gauche, ou en boustrophédon, c'est-à-dire alternativement dans un sens puis dans l'autre) communes. Les runes seraient dans ce cas apparues dans le sud des Alpes, mais l'absence d'inscriptions runiques dans la région avant le Ve siècle tend à affaiblir cette possibilité, qui conserve toutefois de nombreux partisans.
L'alphabet latin constitue une dernière possibilité. Là aussi, des ressemblances existent, tant concernant le forme de certains caractères que leur valeur phonétique. Mais la puissance de l'Empire romain rend plus vraisemblable une imitation de leur écriture, plutôt que celle de petits peuples nord-italiques en voie d'assimilation. Plusieurs hypothèses existent quant au lieu où cette imitation serait survenue. Le nord de la Germanie, qui a été en contact prolongé avec Rome, en fait partie.
Enfin, la question des raisons ayant conduit les Germains à se doter de leur propre système d'écriture n'est pas davantage résolue. Le fuþark a-t-il été créé par une caste de prêtres-magiciens, à des fins incantatoires ? Par une aristocratie guerrière soucieuse d'affirmer son prestige social et son indépendance du monde méditerranéen ? Par des marchands, pour faciliter les transactions commerciales ? Aucune de ces hypothèses n'a remporté l'adhésion. Le corpus existant permet simplement de constater que les runes sont un mode d'écriture qui a été mis au service d'usages extrêmement divers.
Le fuþark et les noms des runes
Tout comme l'alphabet, le fuþark tire son nom de ses premières lettres, les six premières, en l'occurrence. Certaines inscriptions, les plus anciennes datant des Ve et VIe siècles, contiennent l'ensemble des caractères, et permettent donc de connaître leur ordre. De nombreuses hypothèses ont été émises concernant ce dernier, distinct de celui des alphabets grec et latin, mais aucune n'explique de façon convaincante les raisons de cet arrangement particulier.
Les 24 lettres qui composent l'ancien fuþark sont traditionnellement divisées en trois groupes de huit, sans que la raison n'en soit non plus connue. Dans des manuscrits islandais tardifs, ces groupes sont nommés ættir, pluriel de ætt signifiant « famille » ou « groupe de huit ». Cette division a été conservé lors du passage au nouveau fuþark, avec des groupes comptant six, cinq et cinq caractères. Elle a été utilisée à des fins
Chaque caractère représente un son ou un phonème. Bien qu'elles ne constituent donc pas une écriture idéographique, où chaque signe représente un concept, les runes portent aussi un nom, dérivé d'un nom commun ou d'un nom propre, nom qui, presque toujours, a le même son initial que la rune qu'il représente. Ce principe acrophonique constituait sans doute un moyen mnémotechnique.
Les noms sont connus grâce à des manuscrits anglo-saxons (à partit du IXe siècle), puis scandinaves, donnant la liste des runes avec leur nom, et parfois leur valeur. Des poèmes runiques, anglais, puis norvégien et islandais, indiquent aussi le nom de chaque rune en l'illustrant par un vers en forme d'énigme. Les correspondances entre sources anglo-saxonnes et scandinaves permettent, par recoupement, de reconstituer les dénominations suivantes (l'astérisque marque une forme reconstruite) :
Les runes et leur nom dans l'ancien puis dans le nouveau fuþark | |||||
Rune | Nom | Traduction | Rune | Nom | Traduction |
*fehu | bétail, richesse | fé | richesse | ||
*ūruz | aurochs | úr | scorie (Norvège), bruine (Islande) | ||
*þurisaz | géant | þurs | géant | ||
*ansuz | dieu, Ase | óss, áss | estuaire (Norvège), dieu (Islande) | ||
*raidō | chevauchée, char | ræið, reið | chevauchée | ||
*kaunan | furoncle | kaun | furoncle | ||
*gebō | don | ||||
*wunjō | joie | ||||
*hagalaz, *haglaz | grêle | hagall | grêle | ||
*naudiz | détresse, contrainte | nauðr, nauð | détresse, contrainte | ||
*īsaz, *īsan | glace | ís, íss | glace | ||
*jēran | (bonne) année | ár | (bonne) année | ||
*īwaz | if | ||||
*perþō ? | ? | ||||
*algiz | élan | ýr | if | ||
*sōwilō | soleil | sól | soleil | ||
*tīwaz | (le dieu) Týr | týr | (le dieu) Týr | ||
*berkanan | rameau de bouleau | bjarkan | rameau de bouleau | ||
*ehwaz | cheval | ||||
*mannaz | homme | maðr | homme | ||
*laguz | eau | lǫgr, lögr | eau | ||
*ingwaz | (le dieu) Ing | ||||
*ōþalan, *ōþilan | propriété héréditaire | ||||
*dagaz | jour |
Occasionnellement, une rune peut-être employée à la place du nom qu'elle porte. Cette pratique a été observée aussi bien sur des pierres (pierre de Stentoften, où la rune nommée *jēran est employée pour « bonne année ») que dans des manuscrits.
Le principe acrophonique s'est perpétué malgré les évolutions de la langue. Les runes nouvelles ou dont la valeur a changé, dans le fuþorc anglo-saxon comme dans le fuþark de la période viking, se sont vu attribuer un nom en rapport avec leur valeur. Ainsi, quand le fuþorc anglo-saxon s'est enrichi d'une rune pour noter le son /æ/, elle a reçu le nom æsc (« frêne »). Symétriquement, quand, du fait de l'évolution de la langue, la prononciation du nom d'une rune évolue, la valeur phonétique de la rune change également. C'est pourquoi quand le nom *jēra a perdu son j initial (pour donner, plus tard, en vieux norrois, ár), la rune qui lui correspondait a cessé d'être associée au son /j/ pour l'être à /a/ dans le nouveau fuþark.
Les inscriptions runiques
Les inscriptions runiques couvrent un très vaste espace, mais sont très inégalement réparties. Il s'en rencontre environ 3 500 en Suède, environ 1 600 en Norvège, environ 850 au Danemark, plus de 100 au Groenland, de même qu'en Angleterre (inscriptions anglo-saxonnes et scandinaves confondues), moins de 100 en Islande, plus de 80 en Allemagne, plus de 50 aux Orcades, environ 35 sur l'île de Man, une vingtaine aux Pays-Bas, en Irlande et en Écosse./p>
Cette prééminence scandinave s'explique par le fait que la tradition runique y a perduré bien plus longtemps (jusqu'au XVe siècle), alors qu'elle disparaît au cours du VIIe siècle sur le continent, et du XIe en Angleterre. Les inscriptions sont donc rédigées dans une grande variété de langues germaniques (ainsi qu'occasionnellement en latin), avec une prédominance nordique (depuis le proto-scandinave jusqu'au vieux norrois, avec ses évolutions en un sous-domaine occidental et un sous-domaine oriental). Les inscriptions runiques constituent donc une ressource indispensable à l'étude de l'histoire des langues germaniques.
Les runes ont vocation à être gravées, peut-être initialement dans le bois, ce qui expliquerait leur forme : elles consistent principalement en une branche verticale et une ou des branches diagonales (afin de ne pas être confondues avec les rayons du bois), et ont une apparence angulaire (les lignes courbes étant plus difficile à graver). Mais, dans les faits, les lignes peuvent être droites ou courbes, et les inscriptions runiques se rencontrent sur une grande variété de matériaux : la pierre, le bois, l'os, le métal constituent les plus fréquents. Mais d'autres ont pu être utilisés : ambre, corne, ivoire, bois d'animal, cire, plâtre, brique, poterie, cuir... Parchemin et papier n'ont servi qu’exceptionnellement de support. Les outils utilisés pour graver reflètent cette diversité : un marteau, ou un maillet, et un ciseau pour les inscriptions dans la pierre, le couteau et toutes sortes d'autres instruments tranchants (burin, par exemple) dans les autres cas, quand les runes ne sont pas intégrées à un moule, comme pour les pièces de monnaie ou les bractéates.
Les inscription runique se rencontrent sur une grande variété d'objets, du simple os, relief d'un repas, aux armes et aux bijoux précieux, varient considérablement dans leur élaboration, depuis les quelques mots hâtivement griffonnés sur un bout de bois jusqu'aux somptueuses pierres runiques richement gravées et ornementées, et enregistrent des propos en tout genre, aussi bien la plaisanterie graveleuse que le panégyrique royal.
L'ancien fuþark
Les plus anciennes inscriptions en ancien fuþark datent du milieu du IIe siècle, les plus récentes d'environ 700. Un peu moins de 400 inscriptions ont été retrouvées, réparties sur un vaste espace, correspondant aux territoires fréquentés par les peuples germaniques au cours et après la période des Grandes Invasions, et allant de la Norvège à la Bosnie et de la France (fibule de Charnay) à la Roumanie. Deux aires se distinguent : le sud de la Scandinavie, tout au long de la période (d'abord le Danemark, puis la Norvège), et, au VIe et VIIe siècles, le sud de l'Allemagne.
Les inscriptions, généralement courtes, sont souvent très difficiles à interpréter : elles sont parfois endommagées ; leurs runes peuvent présenter des formes inhabituelles ; elles sont écrites dans des langues mal connues ; elles reflètent un univers mental étranger. Certaines ne semblent pas même correspondre à des mots (à moins, peut-être, qu'il ne s'agisse de cryptage, ou d'abréviations). Une même inscription peut donc être interprétée de façons radicalement différentes. De plus, les inscriptions retrouvées ne représente qu'une petite fraction des textes produits au cours de la période, et pas nécessairement représentative. Il est donc très difficile de donner une vue d'ensemble du corpus.
Les inscriptions apparaissent généralement sur des objets mobiliers – armes, bractéates, bijoux (fibules en particulier), et une grande variété d'objets, depuis le simple bout d'os jusqu'à la magnifique corne en or de Gallehus, en passant par des outils ou des objets domestiques. Une grande partie a été retrouvée dans des tombes ou dans des marécages sacrificiels.
Les inscriptions en ancien fuþark se résument souvent à un nom, celui du propriétaire ou du donateur (ce dernier parfois accompagné d'un vœu, d'une dédicace), de l'artisan ou du graveur. Les armes peuvent également avoir leur propre nom, renvoyant à leur fonction (fer de lance d'Øvre Stabu, par exemple, qui porte un nom signifiant « qui met à l'épreuve »), des noms peut-être « magico-poétiques », selon la formule de Wolfgang Krause.
De nombreuses inscriptions, difficiles à déchiffrer, se prêtent d'ailleurs à une interprétation relevant d'un usage magique des runes. Certaines laissent entrevoir une caste de prêtres-magiciens, capables de conférer un pouvoir magique aux objets par le simple fait d'y graver leur nom. Ces maîtres des runes se désignent quelques fois sous le nom d'erilaR, terme dont la signification demeure incertaine, parfois rapproché du nom d'un peuple, les Hérules, parfois apparenté au titre scandinave jarl, mais interprété comme désignant un magicien, un prêtre, ou les deux à la fois.
Les runologues contemporains mettent toutefois en garde contre la tentation d'attribuer une signification magique à toute inscription obscure, soulignant que la valeur magique des runes n'est attestée que de façon marginale, même si les runes peuvent, comme tout système d'écriture, être utilisées pour écrire des formules magiques. Les inscriptions indéchiffrables peuvent tout aussi bien être attribuées à des artisans insuffisamment lettrés.
Certaines inscriptions semblent néanmoins témoigner de la valeur magique en soi des runes. C'est le cas lorsque la série complète du fuþark, ou une version abrégée, est gravée – un usage qui a perduré jusqu'au Moyen Âge – afin, peut-être, de concentrer les vertus de toutes les runes. C'est le cas aussi lorsqu'une rune est utilisée pour le concept qu'elle représente. Elle est alors souvent répétée, pour renforcer son pouvoir. C'est ainsi que la rune nommée *tīwaz (dieu de la guerre) peut être employée pour graver des runes de victoire (« sigrúnar ») sur des armes, ou que celle nommée *fehu (« richesse ») peut être destinée à provoquer la prospérité. Plusieurs inscriptions illustrent cet usage, auquel plusieurs poèmes eddiques semblent faire allusion (Sigrdrífumál, str. 6-7 ; Skírnismál, str. 36).
D'autres inscriptions emploient des mots magiques. Le plus répandu (une vingtaine d'inscriptions) est alu. D'étymologie incertaine, il est considéré comme une formule de protection. Le plus fréquent est ensuite laukaR, qui désigne notamment le poireau et d'autres plante appartenant au même genre, qui étaient utilisées à des fins médicinales. Le nom semble être associé à des formules de guérison. Ces noms, et quelques autres, apparaissent notamment sur des bractéates, des médailles formées d'une mince feuille de métal frappée d'un seul côté, qui pouvaient être portées autour du cou et faire office d'amulette.
Des inscriptions plus longues se rencontrent déjà, à partir du début du Ve siècle, en Scandinavie, sur des pierres, en particulier celles commémorant un défunt. Certaines sont réduites à l'extrême (nom du défunt au nominatif, ou au génitif suivi d'un mot signifiant pierre ou monument), mais d'autres peuvent comporter le nom du commanditaire, celui du graveur (ainsi de la pierre de Tune), parfois les circonstances entourant la mort du défunt. Les plus récentes annoncent déjà les formules caractéristiques des pierres runiques de la période viking. Les pierres portent parfois une formule destinée à empêcher le défunt de revenir hanter le monde des vivants, ou à maudire celui qui profanerait la sépulture (voir, par exemple, la pierre d'Eggja, la plus longue inscription en ancien fuþark).
Des textes retrouvés, il ressort que les runes, dont la maîtrise semble être l'apanage d'une petite minorité (caste de prêtres-magiciens peut-être, riche aristocratie), ne jouent qu'un rôle marginal, limité, le plus souvent, à un usage privé. Elles ne servent pas à communiquer des idées, elles n'ont pas de fonctions administrative ou juridique, elles ne commémorent pas des événements... Cette très faible utilité explique sans doute leur raréfaction au cours du VIIIe siècle. L'usage des runes disparaît même sur le continent. Il se poursuite cependant en Angleterre, et connaît une renaissance en Scandinavie au cours de la période viking.
Les runes anglo-saxonnes
Les runes arrivent sans doute en Angleterre avec les peuples germaniques (Jutes, Angles, Saxons, Frisons) qui s'y installent à partir du Ve siècle.
Les caractères des plus anciennes inscriptions ne se distinguent pas du fuþark germanique. Mais, pour tenir compte de l'évolution de la langue, de nouvelles runes apparaissent, tandis que d'autres voient leur valeur phonétique évoluer. C'est ainsi, par exemple, que est un caractère nouveau, résultat de l'évolution du nom d'origine de la quatrième rune, *ansuz, qui devient os en anglo-saxon. C'est pourquoi le fuþark devient le fuþorc.
Le fuþorc tel qu'il se stabilise vers la fin du VIIe siècle compte 28 caractères. Des caractères supplémentaires sont encore apparus plus tard, en Northumbrie.
Une quinzaine d'inscriptions seulement datent de la période pré-chrétienne (avant 650). Elles ont été principalement retrouvées dans le sud et l'est du pays. Apparaissant sur des objets mobiliers (bijoux, armes, urnes funéraires), elles ont en commun leur brièveté, leur mauvaise état de conservation souvent, et leurs difficultés d'interprétation.
L'apparition des runes en Angleterre s'accompagne aussi d'usages nouveaux, dont, au plus tard au commencement du VIIe siècle, la frappe de légendes de pièces de monnaie. Le nom du monnayeur y apparaît parfois en caractères runiques (parfois en un mélange de caractères runiques et latins), tandis que celui du roi qui les a fait frapper est généralement en caractères latins. Les pièces retrouvées montrent une diffusion de l'usage des runes vers le Nord.
C'est d'ailleurs dans le Nord (Northumbrie, Mercie) que se rencontrent les plus remarquables inscriptions de l'ère chrétienne. Elles témoignent que l'Église a encouragé l'usage des runes, comme l'illustre parfaitement la présence de runes sur le cercueil de saint Cuthbert, au monastère de Lindisfarne, où elles servent de légende aux illustrations. Sont particulièrement caractéristiques de la période les pierres et stèles funéraires, portant le le nom du défunt, parfois accompagné de celui du commanditaire ou d'une prière. Des inscriptions runiques apparaissent aussi sur des croix non commémoratives, dont la célèbre croix de Ruthwell (Dumfries and Galloway, sud de l'Écosse). Illustrée notamment d'épisodes de la vie du Christ, elle contient la plus longue inscription versifiée en runes anglo-saxonnes, avec des extraits du poème anglo-saxon Le Rêve de la croix. Quant au coffret d'Auzon (Franks Casket), peut-être à usage liturgique, il mêle caractères runiques et latins, histoire romaine, religion chrétienne et légendes germaniques, vieil anglais et latin.
Le coffret d'Auzon témoigne de la cohabitation du fuþorc et de l'alphabet latin, mais c'est ce dernier, plus prestigieux qui devint, finalement, l'unique mode d'écriture en usage en Angleterre. Les inscriptions runiques anglo-saxonnes disparurent au cours du XIe siècle.
Les runes anglo-saxonnes présentent des caractéristiques communes avec les runes de Frise (région recouvrant le nord des Pays-Bas et le nord-ouest de l'Allemagne actuels), où une vingtaine d'inscriptions ont été retrouvées, datées du Ve au IXe siècles. Figurant principalement sur des objets de la vie de tous les jours (peignes, par exemple), elle consistent généralement en un nom (celui du propriétaire ou du fabriquant, le plus souvent). Des pièces de monnaie portent également une légende en runes.
Le nouveau fuþark
En Scandinavie, les inscriptions runiques deviennent extrêmement rares au cours du VIIIe siècle, sans doute en raison de l'incapacité du système d'écriture à noter une langue en pleine évolution. Elles renaissent au cours du siècle suivant (pierres de Gørlev au Danemark, de Sparlösa et de Rök en Suède), et les runes connaissent alors leur âge d'or, qui coïncide avec la période viking (environ 800-1100).
À rebours de ce qui s'est produit en Angleterre et en Frise, le fuþark scandinave ne s'enrichit pas de nouveaux caractères. Au contraire, le nouveau fuþark n'en compte même plus que 16.
Si des trois des runes disparues n'étaient déjà plus utilisées au moment où se produit l'évolution de l'ancien vers le nouveau fuþark, les raisons de la disparition des cinq autres demeurent incertaines, bien que de nombreuses hypothèses aient été avancées – c'est même l'une des questions les plus disputées de la runologie moderne. Quatre se détachent particulièrement.
Certaines ont trait à la magie, à la numérologie, à la cryptographie... Partant du constat que 24 comme 16 sont des multiples de 8, elles postulent la valeur magique du chiffre 8. Outre le fait qu'une telle valeur n'est nulle part démontrée, cet argument n'explique pas la nécessité d'une réduction du nombre de caractères.
D'autres hypothèses mettent en avant un souci de simplification. Il se serait agi de rendre l'apprentissage et l'écriture des runes plus facile en abandonnant les runes aux formes les plus compliquées (ainsi, les runes comportant deux traits verticaux ont été supprimées).
Plus convaincantes apparaissent les explications d'ordre linguistique, tenant aux évolutions phonologiques – nombreuses – que connaît la langue scandinave au cours des VIe et VIIe siècles. C'est ainsi, notamment, qu'aux cinq voyelles représentées par les runes de l'ancien fuþark – /u/, /a/, /i/, /e/, /o/ – viennent s'ajouter quatre autres – /y/, /ø/, /æ/, /ɔ/ – par un phénomène de mutation. Pour ne donner qu'un seul exemple parmi les très nombreuses hypothèses formulées, il a été suggéré que, plutôt que d'alourdir le système d'écriture en maintenant la correspondance entre son et symbole, le système de notation a été réduit à l'essentiel, ne conservant que les trois apertures extrêmes : /a/, /i/ et /u/. Les consonnes ont subi, dans le même temps, une réduction comparable (une seule rune pour /d/ et /t/, par exemple).
Une dernière cause tiendrait au principe acrophonique, qui lie chaque rune à un nom. Plusieurs de ces noms ont vu leur son initial changer avec l'évolution de la langue. C'est probablement le cas pour quatre, sinon cinq, des huit runes disparues. Ainsi, *wunjō a très tôt perdu son /w/ initial. Deux noms commençaient alors par le même son (l'autre étant *ūruz). La rune correspondant à *wunjō, désormais redondante, a été abandonné, toute comme les autres runes devenues superflues.
Cependant, aucune de ces explications ne permet, à elle seule, d'expliquer la disparition de huit runes.
Cela amène à une dernière question, celle de savoir si cette transition de l'ancien vers le nouveau fuþark est le fruit d'une évolution progressive ou le résultat d'une réforme délibérée. Cette dernière hypothèse permet d'expliquer une évolution survenue dans l'ensemble de la Scandinavie dans un temps relativement bref, mais l'absence d'un pouvoir central rend ses modalités difficilement concevables.
Quoi qu'il en soit, le nouveau fuþark, avec 8 caractères en moins et certains autres ayant subi une transformation, se présente sous la forme suivante :
Les runes de la premières lignes sont traditionnellement qualifiées de runes danoises, ou à branches longues, et les suivantes de runes de Rök, suédo-norvégiennes, ou à branches courtes (dont dérivent, peut-être, les runes sans branches ou runes du Hälsingland). Il a été suggéré que les premières étaient destinées à être gravées dans la pierre, dans un contexte solennel, les secondes à être tracées dans du bois, pour un usage quotidien, mais cette hypothèse n'a pas pu être vérifiée. Les noms de runes danoises et de runes suédo-norvégiennenes indiquent une origine, mais ni les unes, ni les autres, n'ont eu un usage limité à une aire géographique particulière, et de nombreuses inscriptions emploient un mélange des deux variantes.
Le raccourcissement de la série du fuþark a pour conséquence que de nombreux sons ou phonèmes n'ont plus d'équivalent graphique (d'où la nécessité, pour les graveurs, d'utiliser la rune transcrivant le son le plus proche), tandis qu'une même rune peut traduire de nombreux sons ou phonèmes. C'est ainsi que peut représenter [o], [u], [y], [ø], [w], et quelques autres encore. Malgré cela, ce système de notation semble performant (en partie grâce au caractère très stéréotypé des inscriptions de la période viking), puisqu'il a perduré pendant trois siècles.
Si elles continuent de figurer sur les supports les plus divers (y compris sur un fragment de crâne humain), les inscriptions caractéristiques de la période – et les plus riches en informations – figurent sur des pierres dressées à la mémoire d'un individu. Il existe environ 3 000 de ces pierres runiques, réparties de façon très inégale dans l'espace (elles sont pratiquement absentes en Norvège, extrêmement nombreuses dans l'Uppland). Elles sont plus ou moins élaborées (certaines sont l'oeuvre de graveurs spécialisés, tel Öpir qui, dans l'Uppland, à la fin du XIe siècle, en a signé une cinquantaine), ornementées ou non (elles comportent, parfois, un riche décor animalier), recueillent des inscriptions d'une longueur variable, mais elles présentent systématiquement la formule typique « X a dressé (ou fait dresser) cette pierre à la mémoire de Y », avec indication de la nature des liens unissant X à Y. Contenant parfois une prière, parfois la signature du graveur, elles peuvent aussi mentionner des informations sur le défunt, qui sont autant de témoignages des différents aspects de la civilisation scandinave au cours de la période viking, apportés par les Scandinaves eux-mêmes.
Elles reflètent ainsi l'expansion scandinave. Un certain nombre d'inscriptions runiques ont été retrouvées dans les territoires visités ou colonisés par les vikings, du Groenland à l'Ukraine, et du Nord de la Norvège à la Grèce. Le nombre total d'inscriptions en dehors de la Scandinavie est cependant faible, et il ne s'en rencontre aucune en de nombreuses régions (dont la Normandie), tandis que d'autres en offrent un nombre étonnamment élevé (l'île de Man, par exemple). De nombreuses pierres en Scandinavie commémorent en revanche des vikings disparus lors d'expéditions guerrières ou commerciales, par exemple celles (près de trente) évoquant Ingvarr et ses hommes, morts au Serkland (peut-être « pays des Sarrasins »). Là aussi, certains territoires sont beaucoup plus souvent évoqués que d'autres. Les pierres runiques ne fournissent donc que des informations parcellaires sur la géographie des expéditions vikings, tandis que leur laconisme limite les renseignements sur les causes ou la nature des activités en dehors des frontières scandinaves.
Þórr sur les pierres de Glavendrup ou Sønder Kirkeby, ou représentations de Mjöllnir). Certaines témoignent peut-être d'une période de transition : les quelques formules « Que Dieu trahisse ceux qui l'ont trahi » attestent que le concept chrétien de pardon est encore mal assimilé. Mais les pierres runiques sont surtout le le reflet de la christianisation de la Scandinavie. L'inscription la plus connue à cet égard est celle de la pierre de Jelling, où le roi Harald à la Dent bleue s'honore d'avoir « fait des Danois des chrétiens ». De nombreuses pierres comportent des vœux et prières pour le repos de l'âme du défunt, et, parfois, des demandes d'intercession adressées au Christ, à la Vierge Marie ou à Saint Michel. Certaines mentionnent le baptême ou un pèlerinage, d'autres font l'éloge des vertus du défunt, ou mentionnent des bonnes œuvres, en particulier la construction de ponts et chaussées.
L'immense majorité des inscriptions runiques datent de la période chrétienne. Quelques unes ont un contenu païen (présence d'invocations deSi l'humilité est une vertu chrétienne, elle n'empêche pas certains commanditaires de pierres de faire étalage de leur prospérité et de leur réussite sociale, à l'image du célèbre Jarlabanke, riche propriétaire suédois de l'Uppland, qui, au au XIe siècle, a fait ériger plusieurs pierres à lui-même de son vivant. Rendant généralement hommage à un défunt, les pierres runiques sont nombreuses à mentionner, outre son patrimoine, ses hauts faits, son statut ou ses titres. Elles offrent ainsi un aperçu de la société scandinave, depuis le bóndi, riche propriétaire terrien, jusqu'au jeune guerrier qu'est le drengr, parfois membre de la garde et troupe d'élite (lið) d'un chef de haut rang, en passant par le félagi, partenaire commercial. Elles renseignent aussi sur le statut des femmes. Les pierres runiques servent ainsi à attester la bonne réputation acquise par le défunt. Elles constituent le prolongement des tombes naviformes ou des tertres funéraires de la période païenne, désormais prohibés par l'Église.
Les pierres runiques ont aussi valeur de documents juridiques, permettant, en particulier, d'établir des droits à héritage. Elles peuvent tenir lieu d'acte de décès (particulièrement utile quand la personne commémorée est morte ou disparue à l'étranger). Les commanditaires de la pierre, dont les liens avec le défunt sont soigneusement indiqués (liens de parenté, très majoritairement, mais il s'agit aussi quelquefois de partenaires commerciaux ou de compagnons d'armes) peuvent correspondre à ceux qui revendiquent l'héritage. La mention des biens fonciers possédés constitue l'équivalent de titres de propriété. Certaines inscriptions contiennent des généalogies très détaillées et récapitulent des dévolutions successorales successives afin d'établir la légitimité d'une succession (pierre de Hillersjö).
fornyrðislag, le mètre des poèmes mythologiques et héroïques de l'Edda. La pierre de Karlevi présente, quant à elle, le plus ancien exemple de strophe composée en dróttkvætt, le mètre des poèmes scaldiques. Les inscriptions en forme poétique sont généralement consacrées à l'évocation du défunt, mais la pierre de Rök a un contenu littéraire, évoquant la figure du roi ostrogoth Théodoric et d'autres légendes. Les pierres runiques peuvent ainsi laisser entrevoir les mythes et légendes nordiques, qui apparaissent aussi parfois dans leurs illustrations, telle la légende de Sigurðr représentée sur la dalle de Ramsund.
Les inscriptions runiques sont encore des témoignages directs de la littérature de la période viking : de nombreuses pierres comportent des passages en langage poétique. Certains sont composés enAu cours de la période viking, les inscriptions runiques ont acquis une dimension publique. Les pierres sont exposées à la vue de tous, ce qui atteste une certaine diffusion de l'alphabétisation, du moins dans le milieu des propriétaires terriens et des négociants ou guerriers enrichis par leurs séjours à l'étranger. Mais les raisons qui ont présidé à l'émergence de cette forme de communication, tout comme celles de leur disparition, demeurent obscures. Au-delà de l'effet de mode, une dimension religieuse est souvent invoquée : il s'agissait d'afficher son appartenance à la nouvelle religion et de propager le message chrétien dans des régions où, faute d'un pouvoir royal fort, la christianisation a été plus tardive, comme c'est le cas dans l'est de la Suède. Il s'agissait aussi de commémorer chrétiennement les morts à une époque où églises et cimetières étaient encore peu répandus. L'enracinement du christianisme a rendu ces raisons caduques. Des facteurs politiques (la fin de la période viking, donc plus de grandes expéditions à l'étranger à commémorer) et économique et sociaux (l'émergence des villes, et donc une moindre prééminence de l'aristocratie terrienne, principale bâtisseuse de pierres runiques) ont aussi été avancés.
Les runes au Moyen Âge
Au Moyen Âge, le fuþark subit la concurrence et l'influence du latin. Il évolue en particulier pour noter davantage de phonèmes et de sons. Dès la fin du Xe siècle, des points diacritiques sont ajoutés à certaines runes, peut-être sur un modèle anglo-saxon. Des variantes de runes deviennent aussi des caractères à part entière. Chaque lettre de l'alphabet latin peut ainsi trouver son équivalent runique. Malgré, ou grâce à, cette concurrence, l'écriture runique connaît une véritable renaissance au cours du XIIIe siècle.
Provenant de l'ensemble du monde scandinave, un très grand nombre d'inscriptions runiques ont en effet été retrouvées pour cette période, sur une grande variété de matériaux et d'objets, et pour transmettre des messages les plus divers, des plus formels aux plus triviaux. Au Moyen Âge, les runes ne sont plus l'apanage d'une élite. Leur connaissance apparaît alors très répandue dans les villes, en particulier à Bergen, où les fouilles entreprises après l'incendie de Bryggen en 1955 ont mis au jour environ 550 inscriptions. Elles deviennent alors un moyen de communication utilisé dans la vie de tous les jours et jusque dans les milieux modestes, le latin demeurant la langue savante, celle des longs textes écrits sur parchemin.
Si les pierres commémorant un défunt, typiques de la période viking, disparaissent avec la christianisation, les emplois funéraires demeurent, bien que dans un style différent, et moins original. Les pierres tombales (stèles ou dalles) et autres monuments funéraires (sarcophage), comportent le nom du défunt (introduit, par exemple, par « hér liggr... » : « ci-gît... », ou « hér hvílir... » : « ici repose... », sur le modèle latin), et éventuellement des informations supplémentaires (prières, date de la messe anniversaire). Ici comme ailleurs, les inscriptions mêlent parfois langue vernaculaire et latin (qui peut-être aussi bien utilisé avec son propre alphabet qu'en runes). Dans les églises, le nom du commanditaire ou du constructeur peuvent être gravés sur les murs (ou sur une pierre attenante). Des inscriptions runiques figurent parfois sur les objets liturgiques, par exemple les fonds baptismaux et les cloches. De façon plus informelle, des prières apparaissent aussi sous forme de graffiti, gravés dans des poutres, des planches, ou le plâtre des murs.
Le Moyen Âge a également connu une très brève période au cours de laquelle les runes ont été utilisées pour indiquer le nom du monnayeur sur les pièces. Cette pratique n'a duré que de 1065 à 1080, au Danemark puis en Norvège.
Bien plus caractéristique est l'usage des runes dans un contexte commercial. C'est ainsi qu'ont été retrouvés de très nombreux bouts de bois, percés d'un trou ou en forme de pointe, faisant office d'étiquette destinée à être accrochée ou plantée dans telle ou telle marchandise et indiquant le nom du propriétaire. Les runes sont aussi utilisées pour rédiger des factures ou de la correspondance commerciale. Elles continuent aussi d'être employées par les artisans pour signer leur travail.
Une grande variété d'inscriptions très informelles ont été retrouvées, témoignant d'un usage banal des runes, qui apparaissent comme un outil de communication spontanée. Gravées sur des bâtonnets ou des os, leurs messages évoquent l'ambiance des tavernes (le « Gyða te dit rentre à la maison », suivi d'une réponse incompréhensible, peut être adressé par une femme furieuse du retard de son mari), font revivre la vie amoureuse du temps, entre déclarations (« Gunnhildr embrasse-moi !) et vantardises sexuelles (« Smiðr a baisé Vígdís »), fournissent un aperçu de l'humour, parfois graveleux, de l'époque (comme ces Norvégiens qui se sont amusés à ajouter le mot fuð : « chatte » à leur nom, Jón silki devenant ainsi, par exemple, silkifuð : « chatte soyeuse »). Les graffiti aussi sont un mode d'expression pour de telles inscriptions triviales, souvent suscitées par la nécessité de passer le temps. La chambre funéraire du tumulus préhistorique de Maeshowe (Orcades), est particulièrement riche en inscriptions de ce type. S'y mêlent les noms des graveurs, des références aux femmes et au sexe, des évocations d'un trésor caché...
De façon nettement moins triviale, les runes peuvent aussi être utilisées pour noter des textes poétiques, en mètres scaldiques, eddiques, ou dans des formes plus simples. Il ne s'agit pas seulement de textes norrois, mais parfois de citations d'auteurs latins, ainsi d'un vers de Virgile retrouvé gravé dans le cuir d'une chaussure.
autres sorts), bien représentées dans le corpus médiéval. Certains comportent des éléments chrétiens, d'autres témoignent de la survivance d'anciennes superstitions. Plusieurs dizaines d'amulettes ont aussi été retrouvées, sous forme de bouts de bois ou de plaquettes de métal. Elles comportent parfois des textes en latin (prières) ou en pseudo-latin, voire des termes d'origine grecque ou hébraïque (l'acronyme AGLA).
C'est parfois sous forme poétique qu'apparaissent les formules magiques (formules de malédiction ou de protection, charmes prophylactiques ou érotiques, etCodex Runicus, contenant notamment la loi provinciale de Scanie, l'autre, plus récent, une Lamentation de Marie. Leur rédaction traduisait peut-être une volonté de perpétuer l'usage des runes en l'adaptant à un support nouveau.
Il existe enfin deux manuscrits runiques médiévaux, originaires de Scanie et datés d'environ 1300, l'un, leSi tel était le cas, l'entreprise a échoué. L'introduction de l'alphabet latin s'est certes pour un temps, accompagnée d'un recours accru aux runes, mais, plus prestigieux – c'est celui des élites et de la plus grande partie de l'Europe, il a fini par s'y substituer. L'usage des runes commence à décliner au cours du XIVe siècle, et disparaît dans la quasi-totalité de la Scandinavie au cours du siècle suivant.
Du Moyen Âge à nos jours
Après le Moyen Âge, l'écriture runique ne se perpétue qu'en de rares endroits : l'île suédoise de Gotland, l'Islande, et la province suédoise de Dalécarlie, soit trois lieux abritant des communautés particulièrement attachées à leurs traditions culturelles, et notamment linguistiques. Sur Gotland, son usage se conserve jusqu'aux premières décennies du XVIIe siècle, en Islande jusqu'au XVIIe, peut-être même au XVIIIe siècle. Dans le nord de la Dalécarlie, les runes demeurèrent employées pour des usages du quotidien jusqu'au début du XXe siècle.
Peuvent cependant être mentionnés les calendriers runiques. Existant sur des supports variés, il s'agit de calendriers perpétuels sur le modèle continental, mais où les chiffres romains et les lettres de l'alphabet latin sont remplacés par des runes. Dans une première ligne figuraient les sept premières runes (répétées 52 fois), représentant chacune un jour de la semaine, et dans une deuxième les seize caractères du fuþark, plus trois nouvelles runes, signifiant les dix-neuf années du cycle lunaire. Ils sont restés employé jusqu'au XIXe siècle dans certaines régions, mais ils utilisaient les runes comme simples symboles, et non comme système d'écriture.
Pour l'essentiel, l'usage des runes durant la période suivant la Réforme relève de l'une des catégories suivantes.
Lorsque la connaissance des runes s'est raréfiée, elles ont pu être utilisées comme code secret, pour dissimuler des informations sensibles (ainsi des journaux de bord de l'officier danois Bent Bille dans les années 1540, où les runes sont utilisées pour évoquer des questions d'ordre militaires, mais aussi les aventures sexuelles de l'auteur). Un tel usage est toutefois extrêmement rare.
Les runes témoignent parfois d'un intérêt pour le passé. Elles peuvent être utilisées pour graver les textes les plus triviaux, par amusement (comme l'inscription retrouvée sur un rocher près de Stockholm et signifiant « Bengt et Ulla ont campé ici », écrit en dialecte suédois contemporain, mais gravé en ancien fuþark). Certaines inscriptions peuvent imiter le styles ou le propos des anciennes inscriptions runiques, d'autres citer des textes issus de la littérature norroise (ainsi d'une citation des Hávamál sur la statue représentant le poète Esaias Tegnér à Lund).
Certaines sont des faux. De nombreuses inscriptions runiques retrouvées aux États-Unis sont rangées dans cette catégorie (quant ils ne s'agit pas simplement de marques causées par l'érosion ou de traces laissées par le soc d'une charrue). C'est généralement le cas de la plus célèbre d'entre elles, la pierre de Kensington. Cette pierre, retrouvée en 1898 dans le Minnesota, évoque une expédition à l'issue tragique, menée depuis le Vínland en 1362.
Les runes se rencontrent aussi dans la littérature, et depuis très longtemps : elles font leur apparition dans plusieurs sagas d'Islandais (Egils saga, Grettis saga), où elles sont utilisées, parfois teintées de sang, pour graver des formules magiques. Les runes figurent aussi dans la littérature contemporaine. Chez Jules Verne, une inscription runique retrouvée sur un parchemin constitue le point de départ du Voyage au centre de la Terre (1864). Les runes apparaissent plus particulièrement dans les romans relevant de la fantasy, à commencer par l’œuvre de J. R. R. Tolkien. Ce spécialiste de la littérature anglo-saxonne inventa un alphabet runique, les Cirth, conçu par les elfes pour graver des inscriptions, et adopté notamment par les nains (Le Seigneur des anneaux, appendice E). Les runes font aussi de très fréquentes apparitions dans les jeux vidéos de rôle, qui s'inspirent de l'univers de la fantasy.
Les runes ont également fait l'objet de récupérations politiques. Déjà au XVIIe siècle, la question de l'origine des runes était un enjeu de prestige nationale entre chercheurs danois et suédois. Mais l'usage politique le plus connu des runes tient à son association avec le nationalisme romantique allemand, et trouve son aboutissement avec le national-socialisme. Assimilées à la race aryenne ou germanique, les runes ont fourni un grand nombre d’emblèmes au régime nazi, parmi lesquels le double (interprété, à tort, comme symbolisant la victoire) de la SS. Elles demeurent très largement utilisées par des mouvements se rattachant au nationalisme blanc ou au néonazisme.
Germanie de Tacite (ch. 10) relatif au tirage et à l'interprétation de signes (« notae ») taillés sur des baguettes de bois – ou de la « magie runique » Dans le même ordre d'idées, la gymnastique runique ou le yoga runique sont supposés permettre de canaliser l'énergie cosmique en adoptant des postures inspirées de la forme des runes.
L'un des usages contemporains les plus populaires des runes est d'ordre ésotérique, reposant sur la croyance en un pouvoir magique des runes, et illustré par le nombre d'ouvrages ou de sites Internet traitant des « runes divinatoires » – bien que l'usage des runes à des fins divinatoires ne soit pas attesté, sinon par un passage de laLes runes peuvent enfin être utilisées à des fins commerciales ou artistiques (bijoux en forme de runes, par exemple).
Bibliographie
Quelques ouvrages généraux :
- Barnes, Michael P.Runes : a handbook. Woodbridge : Boydell Press, 2012.
- Düwel, Klaus.Runenkunde. 4., überarbeitete und aktualisierte Aufl. Stuttgart : J.B. Metzler, 2008.
- Marez, Alain.Anthologie runique. Paris :Les Belles Lettres, 2007. (Classiques du Nord ; 11).
- Page, R. I.Runes. London : British Museum Press, 2007. (Reading the past).