Hel est la souveraine du sinistre monde des morts, où elle reçoit ceux qui sont morts de maladie et de vieillesse. Peut-être s'agit-il d'une personnification tardive.

Hel n'apparaît pratiquement pas en tant que personnage dans l'Edda poétique. Tout au plus est-il indiqué dans les Grímnismál (str. 31) qu'elle vit sous l'une des trois racines d'Yggdrasill. Toutes les autres références peuvent renvoyer au monde des morts plutôt qu'à sa souveraine.

Seul Snorri lui donne une identité complète (Gylfaginning, ch. 34).

La Progéniture de Loki, par Emil Doepler.Emil Doepler, La Progéniture de Loki.
Illustration de Walhall. Die Götterwelt der Germanen de W. Ranisch (1900).
Il indique d'abord que Hel est l'un des enfants de Loki et de la géante Angrboða. Elle est donc la sœur de Fenrir et Jörmungandr.

Lorsque les dieux apprirent que cette fratrie grandissait aux Jötunheimar, et découvrirent le malheur qui surviendrait par sa faute, Óðinn envoya chercher les enfants.

Après avoir jeté le serpent au fond de la mer, « il jeta Hel dans Niflheim et lui donna autorité sur les neuf mondes, afin qu'elle répartissent toutes les demeures entre ceux qui lui étaient envoyés, et ceux-là étaient les hommes morts de maladie et morts de vieillesse.

Elle y possède de grandes résidences et les enceintes sont remarquablement hautes et les portes grandes. Éljúðnir (« trempée par la pluie ») s'appelle sa halle, Hungr (« faim ») son assiette, Sultr (« famine ») son couteau, Ganglati (« traînard ») son esclave, Ganglöt (« traînarde ») sa servante, Fallandaforað (« chausse-trape ») son porche par lequel on entre, Kör (« grabat ») son lit, Blíkjandaböl (« éclatant malheur ») les tentures de son lit. Elle est moitié noire et moitié de couleur chair, elle est donc aisément reconnaissable et plutôt sinistre et effroyable ».

N'évoquant que les morts de maladie ou de vieillesse, Snorri ne reprend donc pas ce qu'il indiquait au début de la Gylfaginning (ch. 3), que « les hommes mauvais vont à Hel et de là à Niflhel ».

Hermod devant Hela, J. C. DollmannJ. C. Dollmann, Hermod devant Hela.
Illustration de Myths of the Norsemen de H. A. Guerber (1909).
Hel reparaît dans le récit de la mort de Baldr (ch. 49). Lorsque Hermóðr se rend au monde des morts, Hel prescrit que « si toutes les choses du monde, vivantes et mortes, pleurent [Baldr], alors il retournera chez les Ases, mais restera avec Hel si quelqu'un s'y oppose ou ne veut pas pleurer ».

La description que Snorri fait de ses possessions « trahit l'influence de représentations chrétiennes médiévales » : « de telles allégorisations n'appartiennent pas au style païen et ne se rencontrent dans la poésie qu'au XIIIe siècle »1. Le nom Éljúðnir figure, par exemple, dans le Málsháttakvæði (str. 9).

Le nom Hel est, quant à lui, assurément ancien. Il dérive du verbe germanique *helan (« cacher », « recouvrir »), et décrivait sans doute à l'origine simplement la tombe. De là, il a pris le sens de monde des morts, attesté, par exemple, en vieil anglais (« hel ») ou en gotique (« halja »).

Si Hel est une personnification poétique tardive de la mort, ou s'il a réellement existé une déesse païenne de ce nom est une question qui demeure ouverte.

Dans un premier temps, Hilda Ellis Davidson avait pris parti en faveur de la première hypothèse. Des expression telles que « fara til heljar » (« mourir »), auraient pu donner naissance à une personnification de la mort, observable, par exemple, chez Egill Skallagrímsson (Höfuðlausn, str. 10 ; Sonatorrek, str. 25).

Hel, Erik WerenskioldErik Werenskiold, Hel.
Illustration de la traduction de la Heimskringla par Gustav Storm (1899).
Elle jugeait que « la littérature que nous possédons ne nous donne aucune raison de supposer que cette personnification ait été à l'origine fondée sur la croyance en une déesse de la mort nommée Hel » et estimait « probable que le récit de Snorri concernant la reine du Monde souterrain soit principalement son propre ouvrage »2.

Pourtant, l'association de Hel personnifiée avec la mort est ancienne en poésie scaldique. Déjà Bragi Boddason, dans la Ragnarsdrápa (str. 9), évoque la « sœur du loup » (« úlfs lifra »). De même l'Ynglingatal de Þjóðólfr ór Hvini (str. 7) parle de la « sœur du loup et de Narfi » (« jódís Ulfs ok Narfa ») et de la « fille de Loki » (« Loka mær »). C'est par des kenningar la décrivant comme fille de Loki qu'elle est encore désignée aux strophes 23 (« fille du frère de Býleistr », « Býleists bróður meyjar ») et 24 (« fille de Hveðrungr », « Hveðrungs mær ») de ce poème.

Britt-Mari Näsström a souligné, à propos des strophes relatives à Hel dans l'Ynglingatal, que la déesse y apparaissait « décrite en termes érotiques ». Les rencontres avec les défunts rois (Dyggvi à la str. 7, et Hálfdan à la str. 24) contiennent des « connotations érotiques » (Hel « a le cadavre de Dyggvi pour son plaisir [« at gamni »] ») et évoquent un « rendez-vous amoureux ». Elle voit là plutôt une allusion à « Freyja dans son double rôle de déesse de la mort et de l'amour qu'à l'horrible fille de Loki »3.

Hel, Karl EhrenbergKarl Ehrenberg, Hel.
Illustration de Nordisch-germanische Götter und Helden de W. Wägner (1882).
Hilda Ellis Davidson a, dans un second temps, admis la possible existence d'une déesse de la mort, formulant à cet égard deux hypothèses quant à la représentation fournie par Snorri d'une créature aux traits démoniaques, dont la moitié du visage évoque la pourriture.

Il est possible que Snorri ait « transformé la déesse de la mort en une figure allégorique, tout comme il a fait de Hel, le monde souterrain des ombres, un endroit “où vont les hommes mauvais”, comme l'enfer chrétien ».

Mais il est également plausible qu'il ait existé « une déesse de la mort qui représente les horreurs du massacre et de la décomposition », à l'image de Kali en Inde, de Babd ou de Mórrígan en Irlande, ou des valkyries tissant sur le macabre métier représenté dans le Darraðarljóð, de sorte que « nous ne devrions peut-être pas supposer que l'horrible figure de Hel soit totalement une création littéraire de Snorri »4.


1 de Vries, Jan. Altgermanische Religionsgeschichte. 3., unveränd. Aufl. Berlin : de Gruyter, 1970. Bd II, p. 377.
2 Ellis, Hilda Roderick. The road to Hel : a study of the conception of the dead in Old Norse. New York : Greenwood Press, 1968. P. 84.
3 Näsström, Britt-Mari. Freyja : the great goddess of the North. Harwich Port ; Cape Cod : Clock & Rose, 2003. P. 69 et 161.
4 Ellis Davidson, Hilda. Roles of the Northern goddess. London ; New York : Routledge, 1998. P. 178-179.