Lathgertha est, dans la Gesta Danorum de Saxo Grammaticus, une femme guerrière originaire de Norvège. Elle est la première épouse de Regnerus (Ragnarr Loðbrók).

Dans la Gesta Danorum

Saxo rapporte au Livre IX de la Gesta Danorum que le roi de Suède Frø, après avoir tué Sywardus, roi de Norvège, condamna les femmes de ses proches à la prostitution. L'apprenant, le Danois Regnerus, petit-fils de Sywardus, partit pour la Norvège. À son arrivée, plusieurs femmes de qualité, victimes d'outrages ou craignant de l'être, se précipitèrent dans son camp, vêtues en hommes.

Lathgertha dans la Gesta DanorumLathgertha dans la Gesta Danorum.
Édition de Christiern Pedersen (Paris, 1514).
« Parmi elles se trouvait Lathgertha, une habile guerrière, qui, se comportant en homme dans un corps de jeune fille, la chevelure tombant sur les épaules, combattait au devant des plus résolus. » Ayant remporté la victoire, Regnerus s'enquit de l'identité de la femme à qui il attribuait son succès et, et ayant appris qu'elle était de noble extraction, il entreprit de la séduire.

Bien que méprisant ses avances, Lathgertha fit semblant d'y consentir. Mais lorsque Regnerus se présenta chez elle, il se heurta à l'ours et au chien qu'elle avait fait attacher devant sa demeure. Transperçant l'un d'un trait, étranglant l'autre, il conquit ainsi la jeune fille. De leur union naquirent deux filles et un fils, Fridlevus.

Au bout de trois ans, Regnerus reprit la mer. Il entreprit de conquérir Thora, que le roi de Suède Herothus, son père, avait promis à qui le débarrasserait de deux serpents monstrueux. Il répudia alors Lathgertha. « Il critiquait la loyauté de sa femme, dont il gardait en mémoire qu'elle avait autrefois lancé contre lui des bêtes d'une extrême férocité pour causer sa perte ».

Cependant, lorsque Regnerus dut faire face à une révolte des Jutes et des Scaniens ralliés à Harald Klak, Lathgertha, « débordant toujours de son amour d'autrefois », vint à son secours, accompagnée de son fils, de son second mari, et d'une flotte de cent vingt navires. « Lathgertha aussi1, dotée d'une énergie sans rapport avec ses membres délicats, rendit courage à l'armée défaillante par un splendide exemple de bravoure. Car volant de-ci de-là, encerclant les arrières de l'ennemi pris par surprise, elle fit passer la crainte éprouvée par les alliés dans le camp adverse. » Une nouvelle fois, elle permit à Regnerus de remporter la victoire.

Lathgertha s'en retourna ensuite chez elle. La nuit venue, elle frappa son mari à la gorge d'une flèche qu'elle avait dissimulé sous sa robe, s'emparant ainsi du titre et du pouvoir. « Car l'extrême orgueil de cette femme jugea plus plaisant de gouverner sans mari que de partager sa fortune. »

Dans les sources norroises

Lathgertha n'a pas d'équivalent dans la tradition norroise relative à Ragnarr, qui ne lui connaît comme épouse que Þóra et Áslaug.

Ladgerda, par Morris Meredith WilliamsLadgerda, par Morris Meredith Williams.
Illustration de The Northmen in Britain d'Eleanor Means Hull (1913).
Elle appartient au type de femme guerrière fréquent dans la première partie (Livres I à IX) de la Gesta Danorum2. Clerc écrivant en latin, Saxo a pour partie puisé son inspiration dans la culture classique : les Amazones ou la Camille de l'Énéide ont pu lui servir de modèle. Mais il disposait aussi de sources scandinaves, notamment islandaises, ainsi qu'il l'indique dans sa préface, et ses femmes guerrières s'inscrivent également dans la tradition norroise des skjaldmeyjar et des valkyries.

La skjaldmær (« vierge au bouclier ») est un personnage type illustré notamment par Brynhildr dans la Völsunga saga ou Hervör dans la Hervarar saga. La Ragnars saga loðbrókar présente également un exemple de femme (à défaut de mær) guerrière, en la personne d'Áslaug3, la deuxième épouse de Ragnarr qui, lorsqu'elle part en expédition accompagnée des fils de Ragnarr, prend le nom de Randalín (« Hlín au bouclier », de « rönd », appellation poétique du bouclier).

Lathgertha présente également des traits communs avec les valkyries, et plus particulièrement avec les valkyries des récits légendaires, protectrices de leur amant. Ainsi, l'image de Lathgertha volant au-dessus du champ de bataille évoque Lára qui, sous la forme d'un cygne, assiste son amant Helgi Haddingjaskati au combat (Hrómundar saga Gripssonar, ch. 6 et 7).

Quant à son nom, Lathgertha a pour équivalent en vieux norrois Hlaðgerðr. Selon Niels Lukman, il signifierait « pourvue d'un diadème » et serait « a descriptive poetic interpretation of a Frankish personal name », porté notamment par Liutgarde, l'épouse du roi de Francie orientale Louis le Jeune, ou Ledgarde, celle « duc » de Normandie Guillaume Longue-Épée4.

Sous sa forme norroise, Hlaðgerðr n'apparaît que dans une saga légendaire, la Hálfdanar saga Brönufóstra (ch. 9 et 15). Hlaðgerðr y est la souveraine des Hlaðeyjar, et elle vient en aide au héros, à qui elle fournit vingt navires avec leur équipage. Son rôle dans la saga est extrêmement marginal, et sa présence semble même superflue, dans la mesure où elle n'est, ni la protectrice de Hálfdan (qui peut déjà compter sur la géante Brana), ni son amante (fonction remplie d'abord par Brana, puis par la princesse Marsibil).

L'emplacement des îles nommées Hlaðeyjar n'est pas précisé, mais leur nom peut être rapproché de Hlaðir, au nord de Niðarós, le siège du pouvoir des Hlaðajarlar, les jarls de Lade.

Au nombre de ces jarls figure Hákon (tué en 995), dont plusieurs sources évoquent la protectrice surnaturelle, qui est nommée Þorgerðr Hölgabrúðr. Selon Nora Chadwick5, le nom Lathgertha dérive probablement de Hlað(a)gerðr (« Gerðr des Hlaðir »). Le deuxième élément, Gerðr, serait le plus ancien nom sous lequel Þorgerðr est connu, d'après son interprétation (sujette à caution) d'une strophe de la Hákonardrápa de Tindr Hallkelsson. Au-delà de l'étymologie, elle relève que Lathgertha vit dans le Gaulardalr. Cette vallée se situe non seulement dans le sud du Þrándheimr, le territoire des jarls de Lade, mais c'est aussi la région d'origine de Þóra, la femme de Hákon. Lathgertha comme Þorgerðr seraient donc l'esprit tutélaire (« fylgju-kona ») de leur héros, avec qui elles auraient contracté un mariage rituel.

Dans la fiction

Lathgertha a connu une certaine postérité dans la fiction.

Katheryn Winnick, Lagertha dans la série VikingsLagertha (Katheryn Winnick) dans la série Vikings.Elle a (librement) inspiré Lagerta (1789) du dramaturge norvégien Christian Pram, œuvre mêlant dialogue, chant, pantomime et danse, qui a pour thème la jalousie et la vengeance de la skjoldmø lorsque Regner l'abandonne pour Thora.

En 1801, sur la scène du Théâtre royal de Copenhague, la pièce donne naissance à un ballet – le premier ballet à thème nordique, qualifié de « tragédie pantomimique mêlée de chant ». La chorégraphie est du maître de ballet Vincenzo Galleoti, la musique de Claus Schall, les costumes du peintre danois Nicolai Abildgaard.

Peut-être Lathgertha a-t-elle aussi servi de modèle à Ella, poème du dramaturge américain William Dunlap (1793).

Lagertha est encore le prénom donné par la romancière et féministe suédoise Fredrika Bremer à l'un des personnages de son roman Syskonlif (1848), la sculptrice islandaise Lagertha Knutson, caractérisée par son indépendance et sa force de caractère. Allusion à Lathgertha, elle possède des chiens et des ours domestiques (vol. 1, p. 276).

Enfin, incarnée par l'actrice canadienne Katheryn Winnick, Lagertha est, depuis 2013, l'un des principaux personnages de la série télévisée Vikings, inspirée de l'histoire légendaire de Ragnarr Loðbrók et de ses fils.


1 « Aussi » se justifie car il est précédemment question du combat que mènent, de leur côté, Regnerus et deux de ses fils, Ivarus et Sywardus, l'Ivarr sans Os et le Sigurðr Serpent dans l'Œil des sources norroises.
2 À tel point qu'au Livre VII, Saxo consacre une digression à expliquer qu'« il existait autrefois chez les Danois des femmes qui, transformant leur apparence en revêtant des habits masculins, consacraient presque chaque instant de leur temps aux exercices militaires... ».
3 En plus de leur qualité de guerrière, quelques autres analogies peuvent être relevées entre Lathgertha et Áslaug : leurs longs cheveux, l'abandon de Lathgertha par Regnerus, qui rappelle la façon dont Ragnarr entend délaisser Kráka/Áslaug avant de découvrir sa prestigieuse filiation (McTurk, Rory, Studies in Ragnars saga loðbrókar, 1991, p. 124), ou leur chien : celui qui garde la demeure de Lathgertha peut être rapproché de celui qui accompagne Kráka dans la Ragnars saga et mord la main de Ragnarr avant d'être mis à mort (McTurk, p. 229).
4 Lukman, Niels. Ragnarr Loðbrók, Sigifrid, and the Saints of Flanders. Mediaeval Scandinavia, 9 (1976). P. 28.
5 Chadwick, Nora K. Þorgerðr Hölgabrúðr and the trolla þing: a note on sources. In : The early cultures of North-West Europe. Ed. by Sir Cyril Fred Fox and Bruce Dickins. Cambridge : Cambridge University Press, 1950. P. 414-415.