Le Haraldskvæði ou Hrafnsmál est un poème composé à la fin du Xe siècle, en l'honneur du roi Haraldr hárfagri. Il est le plus souvent attribué à Þorbjörn hornklofi.

 Traduction du Haraldskvæði illustrée par F. Sandys et J. SwainGravure sur bois de Frederick Sandys (dessinateur) et Joseph Swain (graveur), illustrant Harald Harfagr, une traduction du poème par George Borrow, parue dans le magazine anglais Once a Week (2 août 1862).Tel qu'il est traditionnellement édité, ce « Poème sur Haraldr » (Haraldskvæði) compte vingt-trois strophes, se présentant sous la forme d'un dialogue entre une blonde valkyrie et un corbeau, dont le bec sanglant, la chair pendant aux serres, l'odeur de charogne, attestent qu'il s'est repu sur un champ de bataille. C'est pourquoi le poème est également appelé « Dits du corbeau » (Hrafnsmál). L'un et l'autre titres datent du XIXe siècle, créations, respectivement, de Theodor Wisén1 et de Jón Sigurðsson2.

Le poème peut se diviser en trois parties. Après une introduction et une présentation des protagonistes du dialogue, la cour de Haraldr fait l'objet d'une description, avec ses guerriers, ses scaldes et ses jongleurs. La générosité du roi est louée (str. 1-6 et 15-23). Sont ensuite narrés les exploits guerriers du roi, avec un récit de la bataille du Hafrsfjörðr (traditionnellement datée de 872, mais sans doute plus tardive), par laquelle Haraldr est réputé avoir achevé la conquête de toute la Norvège. Les ennemis du roi y sont tournés en dérision avec ironie (str. 7-12). Il est également question de son mariage avec la princesse danoise Ragnhildr (sts 13-14).

Le poème a été conservé de façon disparate, dans la Fagrskinna, l'Edda de Snorri, la Heimskringla et la Flateyjarbók, ce qui a conduit les chercheurs à s'interroger sur l'existence d'un poème unique. L'attribution de certaines de ses strophes à d'autres scaldes est également source de questionnements.

Les deux plus longs fragments du Haraldskvæði sont conservés dans la Fagrskinna. Le premier (str. 1-6 et 15-23) est attribué à « Hornklofi ». Un peu plus loin, le second, évoquant la bataille du Hafrsfjörðr (str. 7-11), l'est en revanche à Þjóðólfr ór Hvíni, tout comme dans le Haralds þáttr hárfagra, un texte conservé dans la Flateyjarbók. Dans la Heimskringla (Haralds saga hins hárfagra), cette même séquence est attribuée à « Hornklofi ». Mais Snorri se contredit lui-même dans la Gylfafinning, où la strophe 11 (premier helmingr) est présentée comme l'œuvre de Þjóðólfr. Enfin, la strophe 21 est attribuée à un troisième scalde, Auðunn illskælda, dans le Haralds þáttr hárfagra. D'autres strophes ont sans doute disparu au cours du temps.

C'est donc la recherche moderne qui a supposé une unité de ces différentes strophes ou séquences de strophes, à la suite de P. A. Munch et de Carl Richard, qui ont proposé une édition du texte, présenté comme des « fragments d'un ancien poème sur la cour de Harald Haarfagre composé par les scaldes de sa garde (« hird ») »3.

Un certain nombre d'éléments plaident en faveur de l'unité du poème, défendue, notamment, par Finnur Jónsson4. Le Haraldskvæði se caractérise ainsi par sa métrique eddique, et par sa forme dialoguée, et il serait improbable que le scalde ait composé deux poèmes présentant ces caractéristiques, à propos d'un même personnage.

 Haraldskvæði dans la Heimskringla (manuscrit AM 35 fol.)Strophes 8 à 11 du Haraldskvæði dans un manuscrit de la Heimskringla (AM 35 fol., 1675-1699).
Copenhague, Den Arnamagnæanske Samling.
Même si la séquence relative à la bataille du Hafrsfjörðr n'est pas attribuée à Þorbjörn hornklofi dans la Fagrskinna, il existe une continuité entre ce segment et la première strophe, qui annonce qu'il sera question d'exploits guerriers (« íþróttir odda »). De plus, la strophe 7 s'ouvre sur une question, ce qui inscrit le fragment dans la continuité du dialogue entre la valkyrie et le corbeau. L'ensemble aurait été composé quelques années après la bataille.

De nombreux chercheurs contestent cependant cette unité.

C'est ainsi que, pour Jan de Vries, le cadre dialogué et le récit de la bataille auraient été imaginés peu après celle-ci. Les strophes suivantes auraient été composées plus tard, comme « une sorte de suite », peut-être à l'occasion du mariage avec Ragnhildr5. Pour Klaus von See, les strophes 13 à 23 ne seraient pas même l'œuvre de Þorbjörn, mais auraient été composées par un « imitateur incapable », au plus tôt au début du XIIe siècle, sur le modèle de l'Atlamál6.

Pour d'autres encore, ainsi de Friedrich Sueti7 ou de Frederick Metcalfe8, les strophes relatives à la bataille du Hafrsfjörðr constituent un poème à part, le reste, à l'exception d'une ou de deux strophes relatives au mariage du roi, appartenant à un autre poème. Une telle solution, prudente, est en accord avec la tradition manuscrite, qui ne présente jamais le fragment du corbeau et le fragment du Hafrsfjörðr comme un seul poème.

Quant à son style, le Haraldskvæði a pu être qualifié de « pré-scaldique »9, de par son mélange de poésie scaldique et eddique, qu'il partage avec les Eiríksmál et les Hákonarmál. D'un côté, il s'agit d'un poème de louanges en l'honneur d'un roi contemporain, et dont l'auteur est connu. De l'autre, il se présente sous forme d'un dialogue entre deux créatures mythologiques – il n'a toutefois pas la dimension païenne des Eiríksmál et des Hákonarmál, qui content l'entrée du roi à la Valhöll, même si, naturellement, les kenningar mythologiques ne manquent pas (ainsi de la référence aux boucliers qui recouvrent la Valhöll à la strophe 11). De plus, les mètres sont eddiques (málaháttr, puis alternance de málaháttr et de ljóðaháttr dans les six dernières strophes), le nombre de syllabes (de cinq à neuf par ligne) et les rimes internes sont irréguliers, les kenningar simples et peu nombreuses. Attribuée au même auteur, la Glymdrápa, sans doute plus tardive, respecte quant à elle strictement les règles de la poésie scaldique.

Au-delà de ses qualités et de son intérêt littéraires, le Haraldskvæði consitue un témoignage historique de première importance, puisque composé, en tout ou partie, peu après les événements qu'il relate. Son récit extrêmement vivant de la bataille du Hafrsfjörðr, moment considéré comme fondateur dans l'histoire de la Norvège, apporte des informations précieuses, provenant peut-être d'un témoin direct, sur son déroulement et ses protagonistes, ainsi que sur les navires, les guerriers, en particulier les guerriers-fauves (berserkir et ulfheðnar sont évoqués aux strophes 8 et 20-21) ou les armements. Il fournit aussi un aperçu de la vie à la cour royale, et notamment de la place éminente qu'y tenaient les scaldes.


1 Wisén, Theodor. Carmina Norroena. Vol. 1. Lundae : Haqv. Ohlsson, 1886. P. 11.
2 Edda Snorra Sturlusonar. Edda Snorronis Sturlæi. Tomus tertius. Hafniæ : Sumptibus Legati Arnamagnæani, 1880-1887. P. 410. Jón n'emploie toutefois ce titre, qu'il suppose ancien, qu'à propos des strophes conservées dans la Fagrskinna et attribuées à Honrklofi.
3  Oldnorsk læsebog. Udg. af P. A. [Peter Andreas] Munch og C. R. [Carl Rikard] Unger. Christiania : Johan Dahl, 1847. P. 111-114.
4 Finnur Jonsson. Den oldnorske og oldislandske litteraturs historie. Anden udgave. 1. bind. København : G.E.C. Gad, 1920. P. 428.
5 de Vries, Jan. Altnordische Literaturgeschichte. 3., unveränd. Aufl. in einem Bd. Bd I. Berlin : de Gruyter, 1999. P.137-139.
6 von See, Klaus. Studien zum Haraldskvæði. Arkiv för nordisk filologi, 76 (1981). P. 96-111.
7 Sueti, Friedrich. Ueber die auf den König Haraldr hárfagri bezüglichen Gedichtfragmente in der norwegischen Königschronik Fagrskinna. Leipzig : August Pries, 1884. P. 1-3 et 19-20. Sueti juge très vraisemblable que les deux poèmes aient été composés par Þorbjörn hornklofi.
8 Metcalfe, Frederick. The Englishman and the Scandinavian ; or, a Comparison of Anglo-Saxon and Old Norse Literature. London: Trübner & co, 1880. P. 383-385. Metcalfe ne se prononce pas sur l'auteur des strophes relatives à la bataille du Hafrsfjörðr.
9 Turville-Petre, E.O.G. Scaldic poetry. Oxford : Clarendon Press, 1976. P. 12.
 

Éditions et traductions

  • Chant du corbeau. In : Renauld-Krantz. Anthologie de la poésie nordique ancienne Paris : Gallimard, 1964. P. 159-165.
  • Haraldskvæði. Ed. by R. D. [Robert Dennis] Fulk. In : Poetry from the kings' sagas. 1 From mythical times to c. 1035. Ed. by Diana Whaley. (Skaldic poetry of the Scandinavian Middle Ages ; I). Turnhout : Brepols, 2012. Part 1, p. 91-117.