La Jarlmanns saga ok Hermanns est une saga de chevaliers originale évoquant une quête nuptiale menée par Jarlmann pour le compte de son frère juré Hermann.
saga de chevaliers est conservée dans environ soixante manuscrits, datés du XVe siècle au début du XXe. Il en existe deux rédactions. La plus ancienne et la plus longue figure notamment dans les manuscrits AM 556 b, 4to et AM 510, 4to ; la plus récente dans les manuscrits AM 529, 4to ou AM 167, fol.1. L'une et l'autre pourraient dériver d'un original aujourd'hui disparu2.
CetteElle a été composée au XIVe siècle ou au tout début du XVe siècle.
La saga débute par l'affirmation selon laquelle elle un certain Maître Virgilius l'aurait trouvée écrite sur un mur de la ville de « Licibon », en France. Une telle assertion fantaisiste est commune à plusieurs sagas (Sigurðar saga fóts, Vilhjálms saga sjóðs), que Geraldine Barnes a en conséquence qualifiées de « graffiti sagas »3.
Hermann est le fils du roi Vilhjálmr de Frakkland. Il est éduqué par le jarl Roðgeir, père de Jarlmann. Les deux jeunes gens deviennent frères jurés.
Hermann succède à son père. C'est un souverain accompli, mais il lui manque une épouse. Jarlmann évoque alors Ríkilát, fille de l'empereur de Miklagarðr, dont il dresse un portrait élogieux.
Hermann le charge de vérifier ce qu'il en est et, si le portrait est conforme à la réalité, de demander sa main pour son compte.
Il lui a été remis un anneau magique grâce auquel il parvient à faire naître l'amour de la princesse pour Hermann. Et il obtient sa promesse d'épouser le roi après avoir vaincu une armée païenne, dont le roi souhaitait également épouser Ríkilát. Après avoir refusé la proposition de l'empereur de devenir son gendre, il repart pour la France avec la princesse.
Parallèlement, Hermann doit lui aussi repousser une armée païenne, dont le roi exigeait sa sœur en mariage, et son renoncement au christianisme.
Une fois sa future épouse arrivée à la cour, Hermann se montre pourtant morose. Il révèle à Jarlmann qu'il craint que ce dernier ne tente de séduire sa femme. Jarlmann lui rappelle que l'occasion de le faire lui en était donnée à Miklagarðr, mais qu'il a refusé de le trahir. En colère, il quitte le royaume.
Douze hommes, le visage couvert de capuches noires, se présentant comme des maçons venus d'Afrique, proposent ensuite au roi de lui bâtir une vaste halle pour les noces – un motif qui rappelle le mythe de la construction d'Ásgarðr4. Ils ne demandent en échange que l'honneur de servir lors du mariage.
La halle est bâtie mais, le soir des noces, Ríkilát est enlevée. Tandis que Hermann sombre dans l'abattement, sa sœur, Herborg, rappelle Jarlmann, qui accepte de venir en aide à son frère juré, « plus pour Ríkilát que pour toi ».
Jarlmann se rend alors à Pampilonia, au-delà du Serkland le Grand, le pays des Sarrasins, et séjourne auprès du roi Rúdent. Il découvre que c'est le roi qui a fait enlever Ríkilát afin de l'épouser. Elle est tenue enfermée dans une cage en verre, gardée, dans une montagne, par la demi-soeur du roi, une géante nommée Þorbjörg la Grosse.
Jarlmann obtient du roi la possibilité de voir Ríkilát. La visite à Þorbjörg est l'occasion d'une grande cérémonie, à laquelle prennent part toutes sortes de créatures fantastiques: elfes, nains, nornes, trolls et autres géants.
Faisant croire qu'il est tombé amoureux de Þorbjörg, Jarlmann en obtient la main. Son mariage doit être célébré en même temps que celui de Rúdent avec Ríkilát.
Jarlmann fait alors venir Hermann. Lors des noces, les frères jurées tuent Rúdent et sa sœur et libèrent Ríkilát.
Hermann épouse enfin Ríkilát, tandis que Jarlmann reçoit la main de Herborg.
La Jarlmanns saga est une « compilation de motifs » (Finnur Jónsson5) empruntés à de nombreuses sagas et puisant à des sources continentales comme norroises.
La dimension religieuse de la saga, qui se révèle notamment lors de la double confrontation des frères jurés avec des armées païennes, emprunte ainsi aux chansons de geste. Cet aspect est toutefois secondaire dans la saga. Le paganisme des ravisseurs de Ríkilát n'est ainsi pas mis en avant, et les créatures fantastiques qui peuplent la dernière partie de la saga, provenant du folklore nordique, rappellent plutôt les sagas légendaires. C'est pourquoi Geraldine Barnes a parlé d'« unrealized chanson de geste potential6».
La thématique centrale de la saga, au-delà des conflits religieux et des péripéties des quêtes nuptiales, c'est la relation entre Hermann et Jarlmann, le premier envoyant le second quérir une épouse pour son compte.
Ce thème rappelle naturellement Tristan et Iseut. D'autres motifs en dérivent, directement ou par l'intermédiaire de sagas ayant elles-mêmes emprunté à la Tristams saga ok Ísöndar (Rémundar saga keisarasonar, Þiðrekssaga) : comme Iseut, Ríkilát possède des talents de guérisseuse ; l'anneau magique est comparable au philtre d'amour ; dans la version courte de la saga, Jarlmann dessine pour Ríkilát le portrait de Hermann, ce qui évoque la « Salle aux images » du Tristan de Thomas et de la Tristrams saga.
Le lecteur qui connaît la Tristams saga, s'attend à un triangle amoureux, d'autant que l'auteur de la Jarlmanns saga disperse plusieurs indices en ce sens : Ríkilát prend plaisir à la compagnie de Jarlmann, qui se voit proposer une fois ou deux, selons les versions, la main de la jeune fille, et il possède, avec l'anneau magique, un moyen infaillible de s'en faire aimer. Mais Jarlmann refuse de trahir le roi : « vilda eg þá ekki heita drottinssvikari », dit-il dans la version courte : « je ne voulais pas être appelé traître à mon seigneur ». Aussi la Jarlmanns saga a-t-elle pu être qualifiée par Knud Togeby d'« anti-Tristan »7.
Plus encore qu'avec la Tristrams saga pourtant, c'est avec la Konráðs saga keisarasonar que la Jarlmanns saga entretient un lien direct, l'une constituant une image inversée de l'autre, ainsi que l'observait déjà Gustaf Cederschiöld en 18848. La Jarlmanns saga aurait été conçue comme une « réponse spécifique et intentionnelle à la Konráðs saga9», ou constituerait « un correctif ou une critique10» de cette dernière.
Dans la Konráðs saga, il est en effet également question de deux frères jurés, l'un fils de roi, l'autre fils d'un jarl nommé Roðgeir dans les deux sagas. Lors de la quête d'une épouse, à Miklagarðr, le second se fait passer pour le premier et tente de séduire la princesse pour son compte, et c'est à bon droit qu'il est qualifié de « traître à son seigneur ». Les deux sagas présentent donc une inversion de motifs : confiance excessive et traîtrise dans l'une ; fidélité et défiance injustifiée dans l'autre.
Le lien entre les deux sagas est confirmé par la version courte de la Jarlmanns saga, qui s'achève par une généalogie faisant de Hermann le grand-père du héros de la Konráðs saga. Elle donne en effet à Hermann un fils nommé Rígarð, « et on dit que ce Rígarð a été le père de Konráðr, qui alla au Ormaland (« Pays du serpent ») ».